Au fil des siècles, les progrès considérables effectués en matière de techniques chirurgicales ont permis de réduire drastiquement le risque de complications et d’inconfort lié à une opération.
Plus récemment, l’attention s’est aussi portée sur l’amélioration de tous les paramètres entourant l’intervention chirurgicale : la préparation, le contexte péri-opératoire, les soins post-opératoires…
C’est ainsi tout un travail d’équipe qui se met en place entre les médecins, les anesthésistes, les infirmiers, pour limiter le plus possible l’impact de l’opération, éviter les complications et permettre au patient de récupérer au plus vite. Cette démarche globale est baptisée « Réhabilitation Améliorée Après Chirurgie » (RAAC).

Conférence des Drs Aurélien Venara, Florian Ducellier et Laurent Catala

Conférence co-animée par les Dr Aurélien Venara, chirurgien dans le service de chirurgie viscérale du CHU d’Angers, Florian Ducellier, chirurgien dans le service de chirurgie osseuse du CHU d’Angers, et Laurent Catala, chirurgien dans le service de chirurgie gynécologique du CHU d’Angers.

La démarche RAAC, qu’est-ce que c’est ?

Un concept venu du Danemark

La notion de réhabilitation améliorée après chirurgie est née dans les années 1990 au Danemark, dans un contexte culturel de forte sensibilité au bien-être.

Le but est d’offrir au patient la meilleure prise en charge péri-opératoire permettant de se remettre vite et bien d’une opération, en réduisant au maximum tous les facteurs de stress chirurgical et humain. L’idée est que plus on parvient à limiter l’impact de l’opération dans tous ses aspects (gestion du stress, anesthésie, chirurgie, hospitalisation, retour au domicile et suivi), plus on rend la convalescence facile et rapide.

Rapidement diffusé en Europe du Nord, ce concept est apparu en France il y a une dizaine d’années, et prend un essor très important depuis 5 ans.

Outre son intérêt évident en termes d’amélioration de la prise en charge du patient, la RAAC présente également un intérêt social car elle contribue aux économies de santé publique, et un intérêt institutionnel pour les établissements car les programmes RAAC feront partie à l’avenir des critères pris en compte dans les certifications.

Une approche globale et collective

La mise en place d’un programme de réhabilitation améliorée après chirurgie se caractérise par certains paramètres incontournables et complémentaires, notamment : 

  • un travail d’équipe, qui implique le chirurgien, les infirmiers et aides-soignants, l’anesthésiste, et surtout le patient, placé au centre de la démarche et invité à être véritablement acteur de son programme.
  • Une démarche adaptée à tous les types de chirurgie.
  • Un programme à la carte, adapté à chaque patient.
  • La réalisation d’un audit en continu dans les services qui appliquent la RAAC, afin de détecter d’éventuelles dérives et réajuster les pratiques.
  • L’implication dans une démarche d’amélioration continue, au regard de ce qui est mis en avant par l’audit.

Avant, pendant et après l’opération

La démarche RAAC se déroule en trois phases successives :

Phase pré-opératoire – préparer l’intervention :
  • Le patient reçoit une information complète et personnalisée sur l’opération et les modalités de son séjour hospitalier.
  • Si nécessaire, une séquence de pré-habilitation est proposée au patient afin d’optimiser sa condition physique en amont de l’opération : exercices de musculation, de respiration, nutrition, sevrages...
  • Dans les jours qui précèdent l’intervention, le taux de globules rouges est mesuré et si besoin renforcé afin de prévenir tout risque d’anémie et éviter la transfusion.
  • Enfin, les règles du jeûne pré-opératoire ont été revues et assouplies pour un meilleur confort, tout en assurant la sécurité du patient.
Phase péri-opératoire – optimiser la chirurgie :
  • Le choix des traitements anesthésiques et antidouleur est discuté en permanence et adapté à chaque patient.
  • Les équipes privilégient l’utilisation des techniques médicales les moins invasives afin de limiter au maximum l’impact physique de l’intervention.
  • Le recours aux sondes gastriques, sondes urinaires, drains, etc. est limité au strict nécessaire, et ils sont retirés dès que possible afin de permettre au patient de retrouver rapidement une mobilité.
Phase post-opératoire – relancer au mieux la mécanique corporelle :
  • Tout est mis en œuvre pour permettre au patient de retrouver une certaine autonomie le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions de confort : réalimentation précoce, traitement antalgique adapté, kinésithérapie…
  • Les critères de sortie sont définis à l’avance, selon le type de chirurgie pratiqué. Le but est que le patient sorte quand il en est capable, par exemple quand il a retrouvé un minimum d’autonomie dans ses déplacements. Cela peut prendre un temps différent en fonction de chacun.
  • À la sortie de l’hôpital, le patient se voit remettre le numéro d’urgence à contacter si besoin, des consignes pour reconsulter ou bénéficier d’un suivi à domicile, et une date de rendez-vous post-opératoire systématique.

Pour quels bénéfices ?

Les résultats d’une démarche RAAC sont flagrants :

  • Diminution du stress et meilleure anticipation de l’opération. Le patient est mieux informé, il comprend mieux ce qui va lui arriver et se prépare de façon plus sereine.
  • Diminution sensible des complications, notamment des infections urinaires ou pulmonaires.
  • Amélioration très nette de la récupération fonctionnelle.
  • Et par voie de conséquence, réduction de la durée du séjour hospitalier dans la plupart des cas, même si ce n’est pas le but recherché initialement.

Un exemple concret : la démarche RAAC mise en place au sein du service de chirurgie osseuse du CHU d’Angers 

Dans le cas d’une chirurgie osseuse, l’objectif est de favoriser la récupération fonctionnelle dans les meilleures conditions de confort, notamment par rapport à la douleur, afin de permettre au patient de retrouver le plus vite possible son autonomie. À l’image d’un sportif contraint de subir une opération : plus vite il pourra reprendre l’entraînement, mieux il retrouvera son niveau.

Pour cela, le service de chirurgie osseuse du CHU d’Angers a mis en place un protocole qui s’applique à tous les patients quel que soit leur état de santé. Il implique en premier lieu le patient, avec autour de lui tous les acteurs du CHU : l’équipe infirmière et aide-soignante, le chirurgien, l’anesthésiste, etc.

L’accent a particulièrement été mis sur l’information du patient, qui constitue un vrai point clé de succès :

  • Lors d’une première réunion, le chirurgien va lui expliquer les raisons et la nature de l’opération, parler de la pathologie, du rapport bénéfices/risques. Le patient reçoit un document d’information qui lui indique ce qu’il doit faire avant, pendant et après l’opération. Par exemple aller acheter ses bas de contention, prendre rendez-vous avec son kinésithérapeute, préparer le retour à la maison, etc. 
  • À l’issue de ce rendez-vous, le patient reçoit son « passeport RAAC » : spécifique à chaque service, ce passeport individuel va suivre le patient tout au long du process. C’est une véritable grille de chek-up dans laquelle il pourra cocher une à une les choses à faire en amont de l’opération, mais aussi après. Y figurent également les objectifs de récupération qui lui sont fixés : dîner assis, faire quelques pas, etc. Ce support clair et concret l’aide à mieux appréhender l’opération.
  • Quelques semaines avant l’intervention, une consultation RAAC est effectuée par une infirmière dédiée et formée. Lors de ce troisième niveau d’information, le patient peut poser toutes les questions qu’il souhaite sur l’opération et son séjour à l’hôpital.  Le parcours de soin est expliqué en détails, dans le but de rassurer au mieux le patient.

Outre cette amélioration de l’information, plusieurs points précis ont été mis en place au sein du service :

Avant l’opération :
  • Prescription des médicaments post-opératoires afin que le patient puisse se les procurer à l’avance en pharmacie.
  • Hospitalisation le jour même de l’opération, et si possible en fonction de l’heure programmée, pour limiter le temps d’attente.
  • Suppression de la prémédication contre le stress, sauf absolue nécessité.
  • Règles de jeûne assouplies.
Dans la période péri-opératoire :
  • Harmonisation des protocoles d’anesthésie.
  • Administration systématique de médicaments contre les nausées et vomissements post-opératoires.
  • Ajustement du taux de globules rouges du patient, avec si besoin des apports de fer ou d’EPO, afin d’éviter le recours à la transfusion.
  • Prise en charge multimodale de la douleur : médicaments administrés en intraveineuse ou par infiltration durant l’opération, ciblage des zones à traiter, etc.
En post-opératoire :
  • Réalimentation précoce.
  • Visite du kinésithérapeute dans les heures qui suivent l’opération.
  • Pas de délai de sortie, celle-ci dépend uniquement des critères de récupération fixés : douleur bien tolérée, capacité à se lever et se recoucher seul, monter et descendre quelques marches, etc.

Grâce à ce travail d’équipe, le service a pu constater une nette amélioration des suites opératoires. Les patients sont beaucoup plus sereins dans leur parcours de soin, mais aussi davantage mobilisés lors des exercices post opératoires. Ils récupèrent mieux, retrouvent plus rapidement leur autonomie. Ils deviennent partie prenante de leur réhabilitation, avec beaucoup de bonne volonté, et cela bénéficie même à la qualité relationnelle avec les équipes médicales et paramédicales.

Un exemple chiffré : l’hystérectomie en ambulatoire

Globalement, la France accuse un retard considérable dans le développement de la chirurgie ambulatoire (opération réalisée le jour même de l’admission, le patient pouvant repartir chez lui au bout de quelques heures).

Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, 8 chirurgies sur 10 sont réalisées en ambulatoire, toutes spécialités confondues. En Suède ou en Norvège, ce sont 7 interventions sur 10 qui sont pratiquées en ambulatoire contre seulement 4 sur 10 en France. Un rapport récent sous-entend qu’environ 2 millions d’interventions chirurgicales pourraient être réalisées en ambulatoire chaque année en France.

Cette réalité concerne également l’hystérectomie, ablation de l’utérus, qui est l’intervention la plus fréquente en chirurgie gynécologique avec 70 000 cas par an en France. Cependant, celle-ci n’est pratiquée en ambulatoire en France, que dans 1,9 % des cas, contre 57 % aux États-Unis.

Les bénéfices de l’ambulatoire

Dans les années 1980, l’hystérectomie entraînait une hospitalisation de 7 jours en moyenne, une ouverture de l’abdomen, une transfusion sanguine systématique pour certaines équipes, un alitement obligatoire durant au moins 3 jours, la pose d’une sonde urinaire et d’un drain…

Aujourd’hui, une patiente éligible à une hystérectomie en ambulatoire et opérée par une équipe expérimentée, peut quitter le service le soir même dans 80 % des cas.

Outre les économies de santé publique que cela représente, l’intérêt est tout-à-fait considérable pour la patiente, en termes de confort et de rapidité de réhabilitation. Pour preuve, le taux de satisfaction des patientes opérées en ambulatoire est de 80 à 90 %, et celles-ci recommanderaient l’ambulatoire à leurs proches dans 90 % des cas.

Pourquoi un tel retard en France ?

Parmi les freins au développement de l’hystérectomie en ambulatoire en France, on peut identifier :

  • La crainte des patientes, mais également des chirurgiens, de la survenue d’une complication en post-opératoire. Or ce taux est identique en chirurgie ambulatoire ou en chirurgie conventionnelle. Des études récentes ont mis en évidence un délai moyen d’apparition des complications à 10 jours. Autrement dit, une hospitalisation conventionnelle de 3 ou 4 jours ne change rien au diagnostic ou à la prise en charge de ces complications. Enfin, le taux de ré-hospitalisation pour douleurs ou complications post-opératoires est identique après une hystérectomie ambulatoire ou une hystérectomie conventionnelle.
  • La peur de mal gérer la douleur : les douleurs persistantes, les nausées et vomissements sont les premières causes d’échec de sortie le soir même après hystérectomie. Ceci conforte l’idée que la gestion de la douleur péri-opératoire et la prophylaxie des nausées et vomissements sont la pierre angulaire du succès de la chirurgie ambulatoire.
  • Enfin, le manque d’informations est régulièrement mis en avant pour expliquer la faible attractivité de la solution ambulatoire, malgré ses avantages.

Ce que l’on peut faire

Pour favoriser le développement de l’hystérectomie en ambulatoire en France et permettre à notre pays de rejoindre la tendance mondiale actuelle, l’un des leviers incontournables est la mise en place de protocoles de réhabilitation améliorée après chirurgie.

En effet, le concept de RAAC associé à la chirurgie ambulatoire permet d’offrir aux patientes :

  • Une sécurisation optimale du parcours de soin.
  • Une standardisation de la prise en charge et des pratiques.
  • Une meilleure information et une éducation visant à rendre la patiente active dans sa prise en charge.
  • Une collaboration mieux organisée avec les professionnels libéraux.

L’exemple du CHU d’Angers

Le service de chirurgie gynécologique du CHU d’Angers a développé un protocole de réhabilitation améliorée dénommé Protocole « RAPIDO ».

Basé sur une réflexion menée à chaque étape du parcours patient, ce protocole comprend un ensemble de mesures pré, péri et post-opératoires, qui contribuent à limiter l’inconfort post-opératoire pour la patiente et favoriser sa réhabilitation. Il a pour objectifs essentiels un meilleur confort, de meilleurs résultats, moins de complications et une meilleure sécurisation à la sortie de l’hôpital.

La mise en œuvre de ce concept a permis d’augmenter la faisabilité de la chirurgie ambulatoire pour l’hystérectomie.

La Réhabilitation Améliorée Après Chirurgie au CHU d’Angers

Au CHU d’Angers, la mise en place de parcours RAAC est née de la volonté spontanée et complémentaire de différents services, notamment les services de chirurgie viscérale, de chirurgie osseuse et de chirurgie gynécologique.

Depuis 2018, un groupe de travail pluridisciplinaire se réunit régulièrement afin d’échanger sur les bonnes pratiques et de structurer la démarche de façon transverse. Ce groupe comprend, pour chaque spécialité, au moins un chirurgien, un anesthésiste référent, et une cadre infirmière ou une infirmière dédiée.