Les pathologies de la mémoire inquiètent, en particulier sa forme la plus répandue : la maladie d’Alzheimer. À raison, puisque l’on compte 900 000 cas aujourd’hui en France, et que les experts prévoient une augmentation exponentielle avec l’allongement de l’espérance de vie. De plus, cette maladie a un fort impact financier et psychologique, elle coûte cher à la société mais aussi aux familles.

Cependant, chacun peut agir pour développer et préserver sa mémoire, retardant ou limitant ainsi l’incidence du vieillissement du cerveau. Pour preuve, les études les plus récentes mettent en évidence un ralentissement de la progression de ces pathologies, notamment dans les pays ayant mis en œuvre une vraie politique d’information et de prévention.

Conférence du Dr Etcharry-Bouyx

Conférence du 4 avril animée par le Docteur Frédérique Etcharry-Bouyx, neurologue responsable du Centre Mémoire de Ressource et de Recherche du CHU d’Angers.

Comment fonctionne la mémoire

La mémoire est un mécanisme complexe et multiple. Chacun de nous utilise différents canaux pour recevoir l’information (vision, audition, etc.). De plus notre cerveau va trier ces données avant de les classer dans différentes zones. La création des souvenirs se fait toujours en plusieurs stades:

  • il y a d’abord le moment où l’on reçoit l’information, où elle est perçue. Cette phase est très sensible à l’état émotionnel et à la disponibilité sensorielle. Par exemple, un stress important ou une diminution de l’audition vont empêcher d’enregistrer l’information, et l’on ne se souviendra pas de tel ou tel moment.
  • Le cerveau va ensuite stocker l’information, en opérant un certain tri. Les souvenirs sont compartimentés en deux principales catégories : la mémoire épisodique, qui concerne les moments de la vie dont on est capable de se souvenir assez précisément : un mariage, un déménagement, un emploi, etc...Et la mémoire sémantique, qui regroupe les souvenirs selon leurs points communs thématiques : périodes de vacances pendant l’enfance, par exemple. Enfin, il existe également des « souvenirs flash », gravés très profondément car liés à un événement particulièrement marquant : par exemple, de très nombreuses personnes se souviennent de ce qu’elles étaient en train de faire lorsque qu’elles ont appris les attentats du 11 septembre 2001.
  • Lors de la phase de « récupération », le cerveau va utiliser tous ces repères pour retrouver le souvenir. Il pourra le récupérer d’autant mieux s’il peut le relier à un maximum d’indices. En clair, pour avoir une bonne mémoire il faut être attentif non seulement à la façon dont on reçoit l’information, mais aussi à la façon dont on va la mémoriser. Plus ce mécanisme est structuré et conscientisé, mieux on retient les informations.

Comment la mémoire évolue

  • Chez l’enfant, la mémoire se développe dès l’âge de 2 mois, d’abord avec tout ce qui est répétitif. La mémoire sémantique apparaît vers 8 mois, la mémoire épisodique vers 1 an. Mais la grande majorité d’entre nous oublie complètement la toute petite enfance, il est rare d’avoir de vrais souvenirs avant 5 ou 6 ans. Enfin, entre 7 et 12 ans apparaît la « méta mémoire », c’est-à-dire la conscience de sa propre mémoire, de ses capacités et limites, de son fonctionnement. C’est le moment où l’enfant comprend qu’il ne sait pas tout et qu’un effort de mémorisation est indispensable, il découvre aussi s’il est plutôt visuel ou auditif.
  • Entre 15 et 30 ans environ, nos capacités de mémorisation sont à leur apogée. C’est la période de la vie où l’on va « engranger » le plus grand nombre de souvenirs, et ils seront conservés très longtemps.
  • Ensuite ces capacités vont diminuer progressivement avec l’âge. La mémoire épisodique, en particulier, est très sensible au vieillissement. À partir de 45-50 ans, les souvenirs récents reviennent facilement mais un certain flou s’installe sur le passé, il devient difficile de dater certains événements avec précision.

Cette évolution de la mémoire est parfaitement normale dans le cadre d‘un vieillissement en bonne santé intellectuelle. Cependant, au-delà d’Alzheimer, certaines pathologies peuvent détruire la mémoire : traumatisme crânien, accident cérébral. Les médecins et neurologues vont alors se servir de cette structure multiple de la mémoire, pour essayer de récupérer le plus d’informations possible grâce à des techniques de rééducation. Si l’on parvient à comprendre comment les souvenirs sont stockés et sémantisés par le cerveau de la personne, on peut exploiter ces potentialités pour combler partiellement les déficits.

Comment préserver sa mémoire ?

On l’a vu, le vieillissement du cerveau avec l’âge est le principal facteur de pathologie de la mémoire. C’est un facteur dit « non modifiable », c’est-à-dire contre lequel on ne peut rien faire. Il en va de même pour les anomalies génétiques – en tout cas au stade actuel des connaissances médicales.

Mais il existe aussi de nombreux facteurs « modifiables », sur lesquels il est possible d’agir soit personnellement, soit au niveau de la société.

  • À l’échelle d’une population, certaines actions menées par les pouvoirs politiques ont démontré leur efficacité. Par exemple, les campagnes de prévention pour détecter l’hypertension à partir de 45-50 ans permettent de réduire le risque de démence. Il a également été prouvé qu’une élévation générale du niveau d’éducation dans un pays s’accompagnait d’une diminution des pathologies de la mémoire. Les études ont également démontré qu’une activité professionnelle prolongée avait un impact positif sur le vieillissement du cerveau.
  • À l’échelon individuel, quelques principes simples, notamment à partir de 45-50 ans, permettent de préserver le cerveau et la mémoire :
    • Adopter un régime alimentaire sain, comme le régime méditerranéen : fruits, légumes, poisson, huile d’olive...
    • Boire du vin en quantité réduite : 1 verre par jour, pas au-delà.
    • Veiller à avoir un sommeil de qualité, favorable au bon « stockage » des souvenirs. Et éviter les médicaments somnifères ou hypnotiques, qui jouent au contraire un rôle d’effaceur.
    • Proscrire le tabac.
    • Pratiquer une activité physique régulière : cela permet de diminuer de 40% le risque de développer une pathologie de la mémoire.
    • Enfin, multiplier les interactions sociales, la convivialité et les activités partagées : les études ont démontré qu’elles étaient les meilleures armes contre le vieillissement du cerveau.

En résumé : adopter un mode de vie sain, exercer une activité, sortir, bouger, aller à la rencontre des autres…
Grâce à la multiplication des campagnes d’information, on constate ces dernières années une évolution de la conscience collective. Certaines actions de responsabilisation – un régime alimentaire plus sain, une activité physique plus régulière – sont désormais entrées dans nos repères habituels.  Cela explique sans doute, au moins partiellement, la diminution constatée de la progression d’Alzheimer. Il ne faut pas lever le pied pour autant, c’est au contraire le moment de renforcer les politiques publiques de prévention !

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