En matière de tabagisme, la France fait figure de mauvais élève avec 30% de fumeurs parmi les + de 15 ans, contre 18% en Grande-Bretagne ou 15% aux USA. Pourtant, le tabagisme n’est pas une fatalité. Certaines mesures politiques prises depuis 40 ans – loi Veil en 1976, loi Evin en 1991, augmentations tarifaires – ont permis de diminuer de moitié le nombre de fumeurs en France, même si beaucoup reste à faire. De plus, sur le plan individuel, les moyens de se faire aider et accompagner pour arrêter de fumer se développent. Voici, en 6 questions, le point sur ce sujet.

Urban_Guillaumin_04_CHU_08dec2016Conférence du Pr. Thierry Urban

Conférence du 13 décembre 2016 co-animée par le Professeur Thierry Urban, Chef du Service de Pneumologie et du Centre de Coordination de Cancérologie du CHU Angers (à droite), et le Docteur Claude Guillaumin, responsable médical de l’Unité de Tabacologie du CHU d’Angers (à gauche).
Rendez-vous organisé dans le cadre des Mardis de la santé, en partenariat avec la Ville d'Angers et le Courrier de l'Ouest.

1 - Pourquoi faut-il se débarrasser du tabac ?Tabac - Autopsie d'un meurtrier

Parce que sa dangerosité est prouvée

  • En termes de mortalité induite : le tabac est la première cause de mortalité évitable en France, avec 80 000 décès directs par an. Des études menées en Grande-Bretagne ont démontré une perte de 10 ans d’espérance de vie en moyenne.
  •  En termes de morbidité induite : le tabac est à l’origine de très nombreux cancers évitables, d’infections respiratoires chroniques, de maladies cardiovasculaires et de multiples autres atteintes : peau, os, parodontie, grossesse...
Tous les tabacs et tous les modes (fumé ou non) sont toxiques, certains plus que d’autres.


Parce que son coût social est exorbitant

  • Les pathologies engendrées par le tabac ont un coût individuel (morbidité, souffrance, mortalité précoce, deuil) et collectif (prise en charge et traitements, arrêts maladie…) à long terme trois fois supérieur aux recettes fiscales à court terme. En 2012, une enquête de la Cour des comptes estimait à 47 milliards d'euros par an le coût du tabagisme pour la collectivité. Cela représente plus de 3% du PIB, dont 12 milliards à la charge de la seule assurance maladie.
  • En France, le tabac tue 18 fois plus que les accidents de la route.

2 - Pourquoi fume-t-on ?

Fumer est une addiction forte, qui emprisonne le fumeur. Cette dépendance peut avoir plusieurs explications :

  • La dépendance pharmacologique, due à la nicotine notamment. Le manque nicotinique lors de la réduction ou du sevrage est parfois très important. Cependant l’efficacité souvent relative des substituts nicotiniques prouve que cette dépendance n’est pas seule.
  • La dépendance comportementale : fumer stimule les sens (toucher, vue, odorat, goût), est source de plaisir ou de comblement de l’ennui ou du manque. De plus la gestuelle répétée engendre des reflexes induits conditionnés (skinneriens). 

Il faut donc, lorsque l’on envisage un sevrage, tenir compte de ce deux types de dépendance.

3 - Que fait-on (ou devrait-on faire) pour se débarrasser du tabagisme au niveau sociétal ?

Des lois et décrets
  • La Loi Veil du 9 juillet 1976 représente le premier pas en faveur de la lutte contre le tabagisme en France. Elle réglemente la promotion des produits du tabac, limitée à la presse écrite, impose la mention de l’avertissement sanitaire « abus dangereux » sur les emballages. Elle rend obligatoire l’information sur le tabac et ses dangers dans les établissements scolaires et auprès de l’armée. Elle interdit le parrainage de manifestations sportives par les cigarettiers et l’usage de tabac « dans les lieux affectés à un usage collectif où cette pratique peut avoir des conséquences dangereuses pour la santé ».
  • La Loi Evin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, complète la loi Veil. Elle pose le principe d’une interdiction complète de toute publicité, promotion ou propagande en faveur du tabac, et lutte contre les pratiques de contournement et les violations des fabricants de tabac pour faire la promotion de leurs produits. En matière d’interdiction de fumer, elle renverse la logique de la loi Veil : il est dorénavant interdit de fumer dans tous les lieux à usage collectif, à l’exception de fumoirs dont les normes d’instauration sont strictement définies. C’est donc le principe de l’interdiction qui prévaut et le fait de pouvoir fumer qui devient une exception. La loi Evin prévoit également une amélioration du dispositif des avertissements sanitaires, ainsi que des hausses de la fiscalité pour réduire la consommation. 

Mais elle ne sera appliquée par décret qu’en 2006, et partiellement.

  • L’accord cadre OMS-CCLAT : adoptée en 2003 par les pays membres de l’OMS et ratifié par la France en 2004, la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac (CCLAT) constitue le premier traité international destiné à endiguer le tabagisme. Fondée sur des preuves scientifiques, elle réaffirme le droit de tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible et réunit l’ensemble des mesures dont l’efficacité a été avérée pour réduire la consommation.

Adoptée par plus de 180 pays, la CCLAT constitue de loin le traité international ratifié par le plus grand nombre et mis en œuvre dans les délais les plus rapides, ce qui souligne l’urgence du besoin. 

Des mesures de lutte par la prévention
Les Plans cancers 1 (2003-2007), 2 (2009-2013) et 3 (2014-2019). Initiés par Jacques Chirac en 2003, ces Plans nationaux mettent l’accent sur l’application des décrets de loi, les actions de prévention et l’amélioration de la prise en charge des malades. 

  • Augmentation de prix : elles sont efficaces, à condition d’être conséquentes. Mais se heurtent au lobbying industriel et à l’opposition des buralistes.
  • Campagnes nationales d’information
  • Développement de la tabacologie, avec la création d’Unités de Coordination de Tabacologie, d’Instituts de Formation en Soins infirmiers, le développement des formation, des études médicales, etc. Mais trop peu nombreux et encore peu de moyens.
  • Associations de lutte : CNLT, Alliance, Fondation du souffle, etc…
  • Remboursement des produits d’aide au sevrage tabagique (substituts nicotiniques) et des séances de Thérapie Comportementale et Cognitive.
  • Adoption du paquet neutre en décembre 2015 en France, après l’Australie et l’Angleterre
  • Le Mois Sans Tabac : lancé pour la première fois en France en novembre 2016, à la suite d’expérience britannique.
Ces mesures ont elles été utiles ?

Oui car elles ont permis la réduction de moitié de la prévalence du tabagisme (de 60% à 30% de fumeurs parmi les + de 15 ans), des ventes et de la mortalité par cancer et d’autres pathologies.
Mais des efforts restent encore à faire pour que la France puisse voir baisser de manière significative le nombre de fumeurs.

4 - Comment se débarrasser du tabac au niveau individuel ?

Ne pas sous-estimer la difficulté
Les baromètres santé montrent qu’une majorité des fumeurs disent vouloir arrêter. Mais le sevrage tabagique est souvent un long cheminement personnel par étapes, qui peut prendre des années. En France, la majorité des fumeurs voulant arrêter sont en échec de sevrage ou en rechute. Se débarrasser du tabac passe donc par un renforcement de la motivation et par un accompagnement adapté.

Consulter l’Unité de Coordination de Tabacologie du CHU d’Angers
Cette structure hospitalière transversale, rattachée au service de pneumologie, a pour objectif d’aider les fumeurs à arrêter complètement le tabac, parfois en le réduisant progressivement.

Des consultations permettent de découvrir l’histoire du tabagisme, comprendre ses propres dépendances, évaluer et renforcer sa motivation, trouver un accompagnement et un soutien tout au long de la démarche.

L'Unité de Coordination de Tabacologie du CHU d'angers peut vous aider à arrêter le tabacSi besoin, des médicaments ou des techniques d’aide au sevrage tabagique sont proposés :

  • substituts nicotiniques patch et oraux
  • varénicline
  • bupropion
  • Thérapies comportementales TCC

Une aide à la prise en charge est proposée aux personnes en situation précaire.

Se faire aider par d’autres professionnels de santé formés : Médecin Généraliste, Médecin Spécialiste, tabacologue, pharmacien, chirurgien-dentiste, sage-femme, kinésithérapeute, infirmier…

5 - Que penser de la « e-Cigarette » ?

La cigarette électronique (e-cigarette ou vaporisateur) est un système de délivrance de vapeur avec ou sans nicotine, à partir d’un liquide contenant un solvant, de la glycérine végétale et/ou du propylène glycol, un arôme.

En quelques années, le vapotage est devenu une réalité de grande ampleur. Mais 83,1% des vapoteurs sont encore des fumeurs, ce qui réduit l’interêt de la cigarette électronique (dont 74,7% quotidiennement) et 15% d’anciens fumeurs.

Une aide à la réduction ou au sevrage tabagique ?
Les données des forums d’usagers et la pratique tabacologique de terrain suggèrent que l’e-cigarette est un outil efficace d’aide à la réduction ou au sevrage tabagique chez un nombre significatif de fumeurs. Mais de nombreux échecs sont également constatés.
Dans le baromètre santé 2014, 82% des vapoteurs rapportaient avoir diminué leur tabagisme et une estimation grossière suggère que 400.000 vapoteurs auront pu réduire ou arrêter au moins temporairement leur tabagisme.
Parallèlement, on a observé en France une réduction de 5% des ventes de tabac entre 2014 et 2015. Une étude anglaise plus récente estime plus justement sans doute que la cigarette électronique aurait permis à 18 000 anglais d’arrêter de fumer par an en plus.

Un certain manque de recul…
Bien que probablement très inférieurs à ceux de la fumée de tabac, les éventuels effets toxiques à long terme du vapotage ne sont pas définitivement établis.
Le vapotage chronique expose la muqueuse respiratoire à une vapeur contenant du glycérol ou du propylène glycol, divers arômes, de la nicotine et des produits de chauffage. Le propylène glycol, le glycérol et la plupart des arômes disponibles sont utilisés dans l’industrie alimentaire sans nocivité établie.  Mais on manque de données sur les effets de leur inhalation prolongée chez l’homme notamment au niveau des voies aériennes.
De même des irritants, des carcinogènes à faible dose ont pu être détectés et leur effet à long terme est inconnu. Enfin la nicotine inhalée des années si l'on vapote longtemps peut aussi avoir des effets indésirables

…mais un intérêt réel
Au total, l’intérêt de l’e-cigarette comme outil d’aide à la réduction ou au sevrage tabagique paraît réel, bien que des études soient nécessaires pour le valider scientifiquement et vérifier la tolérance au long cours.
Son utilisation n’est donc pas à recommander chez les non-fumeurs. Mais elle peut être proposée chez des fumeurs actifs en échec avec les stratégies validées d’aide au sevrage, vu le risque considérable induit par l’inhalation chronique de fumée de tabac. Cela est vrai à condition que le vapoteur arrête complétement de fumer, ce qui n’est pas la règle, et que le vapotage soit arrêté dans un second temps.