D’après les données de l’Assurance Maladie, 180 000 personnes sont hospitalisées chaque année en France pour une fracture liée à l’ostéoporose. Or, un certain nombre de ces fractures vont entraîner un changement de vie important pour le patient, en particulier la fracture dite du « col du fémur ». Ces données montrent aussi que moins d’un patient sur 10 reçoit un traitement de fond adapté après une fracture typique de l’ostéoporose. La prise en charge préventive et curative de l’ostéoporose semble donc très insuffisante sur le territoire français.
Pourtant, il existe des mesures préventives générales faciles à mettre en place, et des traitements médicamenteux extrêmement efficaces.

Conférence du Pr Erick Legrand

Conférence animée par le Pr Erick Legrand, chef du service de Rhumatologie du CHU d’Angers.

Quelle est la nature du tissu osseux ?

Le corps humain tient debout grâce à l’existence d’une charpente, constituée d’un certain nombre d’os : vertèbres de la colonne vertébrale, fémurs, tibias, etc. Ces os sont constitués d’un même matériau, le tissu osseux, qui est un tissu vivant en renouvellement permanent.

Le processus de renouvellement du tissu osseux est appelé « remodelage ». Il s’effectue à un échelon microscopique cellulaire sur la « travée » osseuse, structure de base, d’une épaisseur d’environ 100 à 150 microns. Cette travée est composée essentiellement de protéines dont le collagène additionné de cristaux de calcium et de phosphore.
Le tissu osseux contient également deux types de cellules dont l’action combinée va entraîner le renouvellement de cette travée : les ostéoclastes, responsables de la résorption (destruction) de la travée, et les ostéoblastes, dont le rôle est la formation de l’os afin de reconstruire la travée. 
Grâce à ce processus, qui se produit en continu partout dans l’organisme, le tissu osseux est en permanence renouvelé.

Comment se construit le capital osseux ?

L’équilibre entre résorption et formation va varier au cours de la vie. S’il varie au profit de la formation, les travées s’épaississent et les os se fortifient. Si au contraire l’équilibre penche en faveur de la résorption, les travées s’amincissent et les os se fragilisent.
Pendant l’enfance et l’adolescence, sous l’effet notamment de l’hormone de croissance et des hormones sexuelles (estradiol chez la jeune fille, testostérone chez le garçon), l’activité de formation l’emporte et le squelette peut grandir, se densifier jusqu’à ce que l’individu ait son capital osseux maximal, entre 20 et 25 ans selon les personnes.
Ce capital osseux, variable d’un individu à l’autre, est déterminé à 70 % par des facteurs génétiques hérités de nos parents et ascendants, et à 30 % par des facteurs d’environnement positifs (alimentation riche en calcium, activité physique soutenue) ou négatifs (consommation d’alcool et de tabac, sédentarité).
Ainsi pour un même patrimoine génétique, comme par exemple chez les jumeaux, le capital osseux à 25 ans peut être différent en fonction du mode de vie.

Le capital osseux d’une personne se mesure par densitométrie osseuse, un examen radiographique simple, parfaitement maîtrisé, indolore et sans danger. On dispose aujourd’hui de banques de données de référence très complètes au niveau français, européen et mondial.

Quels est le mécanisme de fragilisation des os ?

Entre 25 et 50 ans, chez un individu en bonne santé, ne prenant pas de traitement et ayant un mode de vie « normal », la masse osseuse et la densité osseuse restent stables.

Certains individus jeunes vont cependant voir leur capital osseux diminuer dès 30 ans, en raison :

  • de maladies endocriniennes entraînant un déficit en hormones sexuelles,
  • de traitements de longue durée avec de la cortisone,
  • de l’alcoolisme et du tabagisme qui provoquent également une destruction accélérée du capital osseux avant 40 ans.

Après 50 ans, il faut différencier ce qui se passe pour l’homme et pour la femme :

  • Chez la femme, la ménopause (arrêt de l’ovulation) s’accompagne d’une chute d’environ 90 % de la sécrétion des œstrogènes. Cette carence en hormones a des conséquences sur le tissu osseux, en accentuant le remodelage osseux au profit de la résorption. Sous l’impact de ce déséquilibre, les travées osseuses vont peu à peu s’amincir, et les os se fragiliser. En moyenne, une femme ménopausée perd ainsi chaque année 1 à 2 % de son capital osseux entre 50 et 65 ans, avec une grande variabilité selon les personnes.
  • Le même phénomène va se produire chez l’homme, mais plus tardivement, à partir de 60 ans en moyenne, et de façon moins brutale car la production de testostérone diminue progressivement. La variabilité est encore plus importante chez l’homme.

Cette diminution progressive de la quantité et de la qualité osseuse entraîne la survenue d’une fragilité osseuse anormale, responsable de fractures non traumatiques : c’est ce que l’on appelle l’ostéoporose. Cependant tous les individus âgés ne vont pas forcément développer de l’ostéoporose : celle-ci concerne environ 1 femme sur 3 et 1 homme sur 6.

L’ostéoporose provoque des fractures répétées, avec des conséquences multiples

L’ostéoporose est donc une fragilité osseuse acquise après l’âge de 50 ans, évolutive et s’aggravant au fil des années, qui ne provoque aucun symptôme car totalement indolore, jusqu’au moment où survient une fracture.

Les fractures liées à l’ostéoporose présentent trois caractéristiques :
  • Un caractère « anormal » : elles surviennent de façon spontanée ou suite à une chute de faible hauteur, qui n’aurait pas entraîné de fracture chez un adulte de 20 à 50 ans. Les plus fréquentes touchent les vertèbres (qui s’écrasent sur elles-mêmes, ce qui entraîne une diminution de la taille de la personne), le col du fémur, l’extrémité supérieure de l’humérus, les côtes, le bassin, le tibia, le poignet, la cheville etc. L’ostéoporose en revanche ne concerne ni la main, ni le pied, ni le crâne qui ont une structure osseuse différente.
  • Une répétition fréquente au fil du temps : il est très fréquent qu’une première fracture soit suivie d’une ou plusieurs autres dans les mois qui suivent. D’une part à cause de leur caractère souvent spontané, d’autre part parce que le risque de chute s’accroît avec l’âge. En revanche, contrairement à une idée répandue, ces fractures, une fois traitées par un plâtre ou une chirurgie, vont se consolider dans un délai normal et de façon satisfaisante.
  • Des conséquences souvent graves sur la qualité de vie (perte de taille, douleurs chroniques de la colonne vertébrale) et sur l’espérance de vie : en particulier pour les fractures de la région du bassin, qui sont associées à une mortalité de l’ordre de 20 % dans l’année qui suit (17 % chez les femmes et près de 30 % chez les hommes), soit trois fois plus élevée que la mortalité moyenne de la même tranche d’âge. Hormis d’éventuelles rares complications hospitalières, cette mortalité est due très majoritairement à la survenue par compensation de maladies préexistantes et sous-jacentes : arrêt cardiaque, AVC, embolie pulmonaire, infection pulmonaire… qui s’expliquent par l’âge avancé des patients.

Peut-on prévenir l’ostéoporose ?

Quelques mesures générales permettent en effet de limiter le mécanisme de fragilisation des os et d’éviter l’ostéoporose, en particulier à partir de 50 ans :
  • l’arrêt du tabac,
  • une consommation d’alcool inférieure à 7 verres par semaine,
  • une activité physique à l’extérieur du domicile, qui dépasse 30 minutes par jour ou 3 heures par semaine,
  • une alimentation qui ne soit pas déficitaire en protéines et en calcium (2 à 3 produits laitiers par jour).
Ces mesures générales sont intéressantes car elles ont aussi un impact favorable sur le cœur et les vaisseaux, sur la prévention du cancer du sein et sur le risque de cancer de l’intestin.
On peut également y ajouter un apport de vitamine D sur prescription médicale. La vitamine D sert à fixer le calcium dans les os. Peu présente dans notre alimentation, elle est normalement synthétisée dans la peau sous l’action du soleil. Mais les personnes âgées ont tendance à moins sortir dehors, à moins exposer leur peau au soleil. De plus les enzymes de la peau qui synthétisent la vitamine D sont de moins en moins efficaces. On observe donc souvent une carence à partir de 60-65 ans, ce qui constitue un facteur supplémentaire d’ostéoporose.
L’apport de vitamine D est facile à mettre en œuvre, c’est un traitement peu cher, très bien toléré, et qui va réduire le risque d’ostéoporose d’environ 15 %, de même que le risque de chute.

Peut-on soigner l’ostéoporose ?

Les patients identifiés comme ostéoporotiques, soit parce qu’ils présentent une densité osseuse très basse associée à des facteurs de risque (ménopause, maigreur, tabac, prise de cortisone etc.), soit encore à la suite d’une première fracture, doivent non seulement mettre en œuvre les mesures générales, mais y ajouter un vrai traitement médical pour agir sur les cellules osseuses et inverser l’équilibre en diminuant le travail de résorption des ostéoclastes et en stimulant la reconstruction par les ostéoblastes.

Ces traitements existent depuis longtemps. Ils ont fait l’objet d’études scientifiques approfondies et ne posent pas de problèmes importants en termes de tolérance ou d’effets secondaires. Ils peuvent être utilisés en curatif ou en préventif et agissent quels que soient l’âge du patient et la gravité de l’ostéoporose.

Leur efficacité est spectaculaire : la mise en œuvre d’un traitement de fond, associé aux mesures générales d’hygiène de vie, réduit d’environ 60 % le risque de survenue des fractures, et réduit la mortalité post-fracture de 30 %. De plus, le traitement de l’ostéoporose semble avoir un impact positif sur la prévention d’un certain nombre de cancers, en particulier le cancer du sein.

Un dernier conseil ? 

Toutes les femmes doivent au plus tard à 65 ans demander une consultation avec densitométrie osseuse afin d’évaluer leur risque personnel d’ostéoporose. Et tous les hommes au plus tard à 70 ans. Cet examen peu onéreux (et remboursé par la sécurité sociale en cas de facteurs de risque), peu irradiant, va donner au patient une évaluation précise de son niveau de risque et permettre la mise en place des mesures adaptées.

Le service de Rhumatologie du CHU d’Angers

L’ostéoporose et les maladies osseuses en général, constituent un axe de recherche prioritaire pour le service de rhumatologie du CHU d’Angers depuis plus de 30 ans.
Un certain nombre de médecins de l’équipe sont des experts de l’ostéoporose reconnus au niveau national, en particulier le Pr Béatrice Bouvard et le Pr Erick Legrand, chargés actuellement de rédiger les recommandations Nationales de traitement de l’ostéoporose chez l’homme et auteurs de plus de 100 publications scientifiques nationales et internationales dans ce domaine médical.

Le service dispose de deux densitomètres et de deux techniciens, très expérimentés pour mesurer la densité osseuse fémorale et lombaire. Des consultations structurées comprenant la densitométrie et l’acte clinique et si besoin, les analyses biologiques sont proposées aux patients afin de limiter les déplacements.
L’équipe médicale et paramédicale prend en charge, à titre préventif ou curatif, plus d’une quarantaine de patients chaque semaine.