En France, plus de 6 000 greffes d’organes ont été pratiquées en 2017. Mais dans le même temps, 8 000 personnes supplémentaires ont été inscrites sur les registres d’attente, portant à 16 400 le nombre de malades en attente d’une greffe d’organe au 1er janvier 2018. Et l’écart entre le nombre de donneurs et celui des malades en attente se creuse année après année.
Pourquoi un tel déficit, alors qu’aujourd’hui le don d’organes ou de tissus est un acte médical parfaitement maîtrisé et encadré ?

Conférence du Pr Jean-François Subra et du Dr Laurent Dubé

Conférence animée par le Pr Jean-François Subra, chef du service de néphrologie-dialyse-transplantation du CHU d'Angers, et le Dr Laurent Dubé, médecin responsable de la Coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus (CHPOT) au CHU d’Angers.

Qui sont les donneurs ?

La législation française prévoit quatre cas possibles de dons d’organes :

  • Les donneurs décédés en mort encéphalique
  • Les donneurs décédés après arrêt circulatoire
  • Les donneurs vivants (pour le foie et le rein)
  • Les dons de tissus (cornée principalement) possibles en chambre mortuaire

Comment se déroule une greffe d’organe ?

  • Une fois le donneur identifié et le diagnostic de mort encéphalique clinique confirmé, le donneur est d’abord qualifié, c’est-à-dire que l’on vérifie qu’il n’a pas de contre-indication au don (antécédents médicaux, pathologies, traitements, etc).
  • Pendant ce temps, le donneur est maintenu en réanimation afin que ses organes restent en fonctionnement.
  • Il faut ensuite déterminer si la personne décédée était ou non opposée au don d’organes. Si elle n’est pas inscrite au registre national des refus, la Coordination Hospitalière des Prélèvements organise un entretien avec ses proches pour savoir si elle avait fait connaître sa position.
  • Une série d’examens (scanner, échographie, électrocardiogramme) permet de qualifier les organes susceptibles d’être prélevés et vérifier leur bon fonctionnement.
  • Le dossier est transmis à l’Agence de Biomédecine, à Paris, qui centralise la répartition et l’attribution des organes aux demandeurs sur le territoire national, selon les règles établies.
  • Chaque établissement concerné envoie une équipe pour prélever l’organe qui lui est destiné.
  • Enfin la greffe est réalisée, dans des délais très courts après le clampage de l’organe (arrêt de la circulation) : 4 heures pour le cœur, 6 heures pour les poumons, 10 heures pour le foie et 24 heures pour le rein.

Quels sont les besoins de la population ?

Le nombre de greffes augmente tous les ans, mais le nombre de patients inscrits progresse plus rapidement encore, du fait de l’allongement de la durée de vie et des progrès thérapeutiques.

Chaque année, le déficit cumulé s’accroît d’environ 1000 demandeurs supplémentaires. Au 1er janvier 2018, plus de 16 000 personnes étaient ainsi en attente de greffe.

Cette évolution diffère selon les organes :

  • Le poumon, par exemple, bénéficie d’un relatif équilibre entre le nombre de patients greffés et ceux nouvellement inscrits, avec 70% des demandeurs greffés chaque année ;
  • Pour le rein, ce déficit est beaucoup plus important, avec seulement 45% de la demande couverte (en tenant compte des contre-indications temporaires, qui obligent à reporter l’intervention).

Quel est le niveau de recensement et de prélèvement des donneurs potentiels ?

Un peu moins de 4000 donneurs potentiels sont identifiés chaque année, et environ 1800 sont prélevés. Sachant qu’en moyenne, chaque donneur est prélevé de trois organes, cela permet d’effectuer environ 6000 greffes par an.

Les deux « Plans Greffe » lancés en 2000-2003 puis 2012-2016, et la mise en place de Coordinations Hospitalières des Prélèvements dans tous les hôpitaux de France, ont eu un impact positif sur le nombre de donneurs recensés et prélevés.

Mais ces efforts doivent se poursuivre, en termes de :

  • Recensement : en 2017, la moyenne nationale est de 52,7 donneurs par million d’habitants (59,7 dans le Grand Ouest). L’objectif du « Plan Greffe » est d’atteindre 60 en 2021.
  • Taux de prélèvement : en 2017, la moyenne nationale est de 26,8 donneurs par million d’habitants (31,8 dans le Grand Ouest). L’objectif du Plan Greffe est d’atteindre 32 en 2021.
  • Taux d’opposition : en 2017, la moyenne nationale est de 30,5 % de refus (27,9 % dans le Grand Ouest). L’objectif du Plan Greffe est de descendre à 25 % d’ici 2021.

Il faut noter que ce taux d’opposition est quasiment stable depuis 15 ans.

Pourquoi ces refus ?

La notion de mort a beaucoup évolué depuis 60 ans. Jusqu’au milieu du XXe, on mourait à la maison, le fait de « voir un mort » faisait partie du quotidien et était accepté culturellement.

Dans les années 50, avec l’invention de la réanimation (le maintien de la respiration et la circulation sanguine par des moyens artificiels), la mort est devenue liée à l’arrêt de l’activité cérébrale. Cette approche très différente, qui passe par l’utilisation de moyens techniques, a permis d’envisager le prélèvement et la greffe d’organes.

Pour autant, le don d’organes après décès reste un don très particulier, comparable à une « redistribution » à la société par consentement volontaire. Pour les proches, confrontés à l’événement du décès, toujours chargé d’émotion, il n’est pas toujours facile de prendre des décisions vis-à-vis du don d’organes si la personne n’a pas clairement exprimé sa position.

La loi sur le prélèvement d’organes, édictée en 1976 et récemment complétée par les amendements Touraine, précise que tous les Français sont potentiellement donneurs à moins d’avoir clairement exprimé un refus auprès de leurs proches ou en s’inscrivant sur le Registre National des Refus.

Le rôle de la Coordination Hospitalière des Prélèvements est de chercher à connaître cette position personnelle. Il est donc important de l’avoir exprimée : cela simplifie la situation pour les proches, et cela permet de gagner du temps sur l’éventuelle intervention.

Comment mieux répondre aux besoins ?

De nombreuses actions sont menées afin d’améliorer le recensement des donneurs potentiels, optimiser le taux de prélèvement parmi ces donneurs et faire baisser le taux d’opposition.
  • À l’échelon local :
    • Optimisation du recensement au CHU d’Angers, grâce à une démarche qualité pour améliorer l’analyse des dossiers de personnes décédées et diminuer le nombre de donneurs potentiels non signalés.
    • Collaboration avec les services d’urgence et de neurologie.
    • Conventions avec les services des Centres Hospitaliers de Saumur et de Château-Gontier.
    • Développement de nouvelles activités : protocoles de Donneurs Décédés en Arrêt Cardiaque (Maastricht 2 en 2007, Maastricht 3 prévu pour 2019), prélèvement d’épiderme depuis 2015…
    • Formation initiale et continue auprès des professionnels de santé du département
    • Accueil de congrès et groupes de travail de niveau national.
    • Sensibilisation du grand public à travers des rencontres dans les lycées, des soirées-débat, etc.
  • À l’échelon régional :
    • Le Réseau Ligérien des Prélèvements d’Organes et de Tissus regroupe les 7 établissements préleveurs de la Région, eux-mêmes organisés en réseau avec les hôpitaux périphériques de leurs territoires respectifs.
    • Ensemble, ils ont mis en place différentes actions pour optimiser le recensement des donneurs potentiels :
    • Étude sur la prise en charge des AVC.
    • Formation à l’utilisation des machines à perfuser et optimisation de leur mise à disposition sur le territoire.
    • Formation au prélèvement de cornée.
    • Tout cela a permis d’installer et de nourrir une remarquable dynamique dans le Grand Ouest.
  • À l’échelon national :
    • Augmenter le nombre de donneurs grâce aux protocoles de Donneurs Décédés en Arrêt Cardiaque (Maastricht 2 et Maastricht 3).
    • Encourager l’utilisation des machines à perfuser pour le rein et le foie
    • Développer les greffes rénales à partir de donneurs vivants : suite au « Plan Greffe » 2012-2016, leur proportion est passée de 5% à 16%
    • Améliorer les règles d’attribution et de distribution des organes en continuant à affiner la priorisation des patients demandeurs, de façon équitable et adaptée aux réalités nationales.

En conclusion

Quatre points-clés à retenir :
  • Les besoins en nombre de greffe sont très importants et en augmentation constante.
  • Le « Plan Greffe » 2017-2021 fixe d’ambitieux objectifs pour réduire le déficit entre patients inscrits et patients greffés.
  • Le meilleur moyen pour augmenter rapidement le nombre de donneurs est de diminuer le taux d’opposition : cela nécessite la mobilisation de tous les acteurs.
  • Il est essentiel de communiquer à ses proches sa volonté sur le don d’organes.

Le prélèvement et la greffe d’organes au CHU d’Angers

Le prélèvement et la greffe d’organes constituent une chaîne ininterrompue.
Autour de la Coordination hospitalière des prélèvements d'organes et de tissus (CHPOT), en première ligne pour contacter les proches et coordonner cette « course contre la montre », ces activités très fédératrices mobilisent tous les services de l’établissement : urgences, anesthésie, réanimation, chirurgie, laboratoires, administration…
Avec pour objectif principal la possibilité de sauver des vies ou améliorer radicalement la situation de plusieurs milliers de malades.