En France, le bio a le vent en poupe ! Selon l’agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture bio, 89% des français ont consommé bio occasionnellement en 2015, et 65% régulièrement, contre respectivement 54% et 37% en 2003. Pourtant, le débat reste vif entre « pro-bio » et « anti-bio ». Le bio est-il vraiment bon pour la santé ? Et pour l’environnement ? Les aliments bio sont-ils plus riches sur le plan nutritionnel ? Internet véhicule toutes les contradictions, et les études scientifiques sont encore peu nombreuses. Difficile, donc, de se faire une opinion. Pour y voir plus clair, revenons sur certaines idées reçues et faisons le point sur ce que l’on sait aujourd’hui du bio, du point de vue médical.

Conférence du Dr. Agnès Sallé

Conférence du 10 janvier 2017 animée par le Dr Agnès Sallé, praticien hospitalier dans le département d'Endocrinologie-Diabétologie-Nutrition du CHU d'Angers. Rendez-vous organisé dans le cadre des Mardis de la santé, en partenariat avec la Ville d'Angers et le Courrier de l'Ouest

Le bio protège l’environnement :

84% des Français pensaient que oui en 2009, 90% en 2015.

Certains arguments scientifiques vont dans ce sens :
  • La France est le 1er pays européen pour l’utilisation des pesticides en volume. Une donnée à relativiser toutefois car elle passe en 6ème position si l’on considère le rapport à la surface cultivée.
  • En France toujours, 92% des rivières et 61% des nappes d’eau sont contaminées par les pesticides et herbicides, en particulier dans les zones viticoles et céréalières. Or il faut jusqu’à 30 ans pour les éliminer naturellement.
  • Les normes régissant l’agriculture bio excluent les pesticides, fongicides, fertilisants non organiques, antibiotiques, etc.. Les deux tiers des produits phytosanitaires présents dans les aliments issus de l’agriculture conventionnelle ne se retrouvent pas dans le bio. Cela représente donc un bénéfice certain pour l’environnement
Mais… À l’encontre, les produits bio « équitables » sont souvent importés de pays lointains, ce qui entraîne un bilan carbone plus lourd que celui des produits conventionnels locaux.

 

Le bio, c’est bon pour la santé

Cette affirmation représente la motivation principale pour 94% des consommateurs en 2009, et 89% en 2015. Ce vaste débat est difficile à trancher, car il n’existe que très peu d’études épidémiologiques, très récentes et pas toutes rigoureuses sur le plan scientifique. On ne peut donc se baser que sur un faisceau d’observations.

Certains arguments vont dans ce sens :
  • Une méta-analyse publiée en 2014 par le British Journal of Nutrition montre que si les fruits bio contiennent eux aussi une certaine quantité de pesticides – provenant de l’eau et des traitements appliqués aux parcelles voisines – cette concentration est 4 à 7 fois moins élevée que dans les produits issus de l’agriculture conventionnelle. Ils comportent également moins de métaux lourds, de métaux toxiques et d’azote sous forme de nitrates et nitrites.
  • La plupart des études prouvent que les aliments bio sont plus riches en antioxydants, en particulier vitamine C et caroténoïdes. Cela serait dû au fait que ces végétaux non traités développent davantage d’antioxydants pour se protéger naturellement contre les parasites. Or les antioxydants ont un effet bénéfique sur la santé, en réduisant le risque de cancers, de maladies cardiovasculaires et de diabète.
Mais il faut relativiser, car…
  • En octobre 2016, une enquête menée par l’Agence Européenne pour la sécurité alimentaire a montré que les résidus de pesticides trouvés sur les fruits, légumes et céréales non-bio produits au sein de la Communauté Européenne étaient dans 97% des cas inférieurs ou conformes aux seuils maximaux fixés par la législation. Ce constat rassurant prouve les progrès sanitaires réalisés par l’agriculture conventionnelle ces dernières années.
  • A ce jour, aucune étude ne prouve scientifiquement que l’ingestion de produits bio ait un impact plus positif sur la santé que l’ingestion de produits conventionnels maîtrisés. De plus, manger bio ne protège pas des maux de l’alimentation moderne occidentale : excès de gras, de sucres, etc.
  • Enfin, plusieurs études menées par des organismes fiables (INSERM, Autorité Européenne de Sécurité Sanitaire…) montrent que la teneur en résidus polluants dans les fruits et légumes conventionnels varie énormément d’une espèce à l’autre et d’une provenance à l’autre. La meilleure façon de limiter l’exposition est donc d’adopter une alimentation variée.

La question des mycotoxines : ni pire ni mieux que les aliments conventionnels

Les mycotoxines sont des moisissures qui se développent sur les végétaux et peuvent être toxiques. Dans les aliments non bio elles sont éliminées par les fongicides. Mais plusieurs facteurs favorisent leur développement : le mode de culture, le climat, le fait de semer sans labourer, le mode de stockage des grains, etc. Il existe une controverse sur la teneur en mycotoxines des produits bio : ils semblent en comporter moins immédiatement après récolte, mais peuvent en développer davantage ensuite en fonction des conditions de stockage et de transport. Une étude à l’échelle européenne sur les céréales et le lait conclut que la différence n’est pas significative entre les produits bio et conventionnels. La présence de mycotoxines est un problème réel qui se pose à tous les aliments, et dépend surtout d’autres facteurs que les traitements.

Le cas des professionnels de l’agriculture


Le niveau d’exposition aux pesticides est problématique pour les professionnels de l’agriculture, qui effectuent les traitements plusieurs fois dans l’année. Or il y a une corrélation prouvée avec un certains nombre de maladies : cancers du cerveau et de la prostate, maladies neuro-dégénératives, troubles immunitaires et métaboliques, impacts sur la fertilité. Mais là encore, les données sont incomplètes car il reste difficile de mesurer le degré exact d’exposition de chacun. Ces observations montrent cependant que les professionnels de l’agriculture doivent se protéger efficacement lors des traitements.

Le bio a un réel intérêt nutritionnel

Pour 79% des français l’agriculture biologique préserve les qualités nutritionnelles des aliments et pour 72% des français les produits biologiques ont meilleur goût (Source baromètre, agence Bio 2015).Les arguments dans ce sens sont contradictoires :
  • En termes de minéraux et vitamines, peu sensibles au mode de culture, les études ne mesurent pas de différence significative entre aliments bio et non-bio.
  • Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il n’y existe à ce jour aucune preuve scientifique qu’il y ait plus de magnésium ou de fer dans les aliments bio.
  • À l’inverse, plusieurs études démontrent que les produits bio sont moins riches en protéines, parce qu’ils reçoivent moins d’apports azotés. Cependant l’impact sur la santé est négligeable, car notre alimentation européenne est déjà trop riche en protéines. Il n’y a donc aucun risque de carence en mangeant bio.
  • D’après un rapport Inserm 2012 de Mariette Gerbert (médecin épidémiologiste Inserm, conseil national de l’alimentation), la qualité nutritionnelle des produits bio est 30 % supérieure à celle des produits non biologiques.
  • Un rapport AFSSA de 2003 et un autre rapport de l’académie d’agriculture en 2010, basés sur la comparaison d’une variété cultivée dans le même terroir et récoltée en même temps et d’animaux élevés sur le même terroir, parviennent aux résultats suivants : céréales plus riches en magnésium, et viande de veau plus riche en fer. Mais les différences sont minimes. Interprétation du Docteur Gerbert : cela ne permet pas d’affirmer que c’est meilleur pour la santé.
À l’inverse…

Plusieurs études montrent que le lait et les œufs bio sont peu riches en iode et en sélénium, éléments qui dépendent essentiellement des apports procurés aux animaux. Les conséquences ne sont pas anodines pour la santé car une carence en iode a un impact pour les femmes en âge de procréer (fonction thyroïdienne du fœtus) et le sélénium agit sur la régulation métabolique globale, une carence pouvant entraîner une fatigue chronique.

Une question d’équilibre

Il reste très complexe de déterminer scientifiquement si les aliments bio sont bons pour la santé. S’il est certain qu’ils comportent moins de pesticides et métaux lourds, et plus d’antioxydants, il n’est pas prouvé qu’ils soient meilleurs pour la santé que les aliments issus de l’agriculture conventionnelle, laquelle a accompli de très nets progrès dans la maîtrise des intrants. Bio ou pas, le secret est dans une alimentation variée et équilibrée Par ailleurs, le bio nécessite autant de contrôles et d’attention que le conventionnel dans la façon dont il est produit, stocké, transporté, etc. sous peine de voir réapparaître certaines bactéries et moisissures véritablement toxiques pour l’homme. Enfin, la nécessité de conserver des rendements suffisants pour nourrir la population mondiale plaide en faveur d’une intervention de l’homme dans les modes de culture. Il ne semble donc pas réaliste d’envisager un retour à une agriculture 100% bio. Et il ne faut pas non plus penser qu’une alimentation non-bio soit nuisible à la santé. On peut par contre affirmer avec certitude que le bio est bon pour l’environnement. Or il y a urgence à réduire l’utilisation de polluants qui s’accumulent dans les sols et mettent des années à disparaître. Manger bio est donc un choix environnemental et éthique plutôt que sanitaire ou nutritionnel.
Crédits photos : Sutterstock©