En France comme ailleurs, les maladies du foie ont beaucoup évolué ces dernières années. Si les causes habituelles comme l’alcool ou les hépatites virales régressent, une nouvelle pathologie appelée « maladie du foie gras » connait une progression spectaculaire et constante, qui pose de nouvelles problématiques de santé publique.
Cette maladie caractérisée par une accumulation de gras dans le foie touche désormais près de 20 % de la population générale adulte… mais la plupart l’ignorent car elle progresse de façon silencieuse.

Conférence du Pr Jérôme Boursier

Conférence animée par le Pr Jérôme Boursier, du service d’hépato-gastroentérologie du CHU d’Angers.

1 - Les maladies chroniques du foie

Les maladies chroniques du foie sont dues à une inflammation hépatique responsable d’un processus de fibrose du foie. Au bout d’un certain seuil de fibrose, la cirrhose s’installe et entraîne diverses complications :
  • Ascite (accumulation d’eau dans l’abdomen)
  • Insuffisance hépatique
  • Insuffisance rénale
  • Hémorragie digestive
  • Cancer du foie.
Foie sain / Cirrhose / Hépatocarcinome - source : https://pathorama.ch






Les principales causes de cirrhose sont :
  • L’alcool : 10 % de consommation excessive chez les adultes en France.
  • Les hépatites virales chroniques : 250 000 hépatites B et 100 000 hépatites C en France.
  • L’hémochromatose, maladie génétique responsable de l’accumulation de fer dans le foie : sa prévalence est de 1/300.
  • La stéatose hépatique non alcoolique ou NASH, dite « maladie du foie gras » : en France, on estime que près de 20 % de la population générale adulte présente un foie excessivement gras.
Les maladies chroniques du foie sont donc extrêmement fréquentes !

La cirrhose, maladie silencieuse

La cirrhose est difficile à diagnostiquer « de l’extérieur ». Le patient ne ressent aucun symptôme particulier, le médecin généraliste ne peut pas la déceler sans tests spécifiques. La maladie se développe ainsi de façon invisible sur 15 à 20 ans, et le diagnostic est souvent tardif :
  • Plus de la moitié des cirrhoses sont diagnostiquées au stade des complications potentiellement mortelles (hémorragie, dysfonctionnement du foie…). A ce stade, la médiane de survie est de deux ans.
  • Les deux-tiers des cancers du foie sont diagnostiqués au stade palliatif, la médiane de survie étant alors inférieure à deux ans.

La mortalité due aux maladies chroniques du foie

Depuis 20 ans, on constate une diminution de la mortalité liée aux complications de la cirrhose :
  • La consommation de vin a fortement diminué du fait des politiques publiques de prévention.
  • Grâce à l’évolution des traitements contre l’hépatite C chronique, 95 % des malades peuvent aujourd’hui être guéris, et on espère désormais éradiquer la maladie en France. 
  • Les traitements de l’hépatite B chronique sont très efficaces et permettent de supprimer la charge virale, au prix d’un traitement à vie.
Pourtant, on constate dans le même temps une augmentation du nombre de cancers du foie, entraînant une stabilité de la mortalité générale liée aux maladies du foie (environ 17 000 décès par an en France).
Ce phénomène s’explique en partie par la progression spectaculaire et constante du nombre de personnes atteintes de stéatose hépatique non alcoolique, responsable de cirrhoses et de cancers.

2- Maladie du foie gras, maladie du soda, stéatose du foie, NASH… qu’est-ce que c’est ?

Décrite pour la première fois en 1980, la stéatose hépatique non alcoolique résulte de l’accumulation de gras dans le foie dans un contexte de surpoids/obésité.
Ce gras provient :
  • Pour 15 % environ de l’alimentation.
  • Pour 25 % environ des sucres transformés par le foie.
  • Pour 60 % des tissus adipeux : le gras qui y est stocké va migrer vers le foie. Le foie va en « brûler » une partie, en exporter une autre partie dans la circulation sanguine, mais le surplus qui dépasse ces capacités sera stocké dans le foie. Chez certains patients, cette accumulation de gras dans le foie va être « toxique » et entraîner l’inflammation du foie qui va elle-même engendrer l’accumulation de fibrose évoluant jusqu’à la cirrhose et/ou le cancer du foie.
Le point de départ est donc un déséquilibre entre les apports et les dépenses caloriques, ce qui explique que cette maladie se développe chez des personnes en surpoids.

Le profil typique du candidat à la stéatose :

  • Homme de 40 ans à 60 ans
  • En surpoids
  • Atteint d’hypertension, de cholestérol, de diabète ou d’apnée du sommeil
  • Ne ressentant aucun symptôme particulier
  • Et dont l’examen médical ne révèle rien de particulier…
…mais dont l’analyse sanguine révèle des anomalies qui sont cependant non spécifiques : élévation des transaminases, de la gamma-GT, de la ferritine, foie « brillant » à l’échographie…

Une progression constante et préoccupante

La modification des modes de vie depuis 30 ans, notamment la surconsommation calorique et la sédentarité, ont entraîné une augmentation fulgurante de la proportion de personnes en surpoids dans la population générale. Cela touche aujourd’hui également les adolescents, et même les enfants.
En France, aujourd’hui, près de 17 % de la population présente un foie trop gras. Parmi ces personnes, 2,6 % sont atteintes de fibrose hépatique avancée pouvant évoluer en cirrhose et en cancer. Cela représente 200 000 personnes en France.
Ce phénomène est mondial : la prévalence de la maladie du foie gras est de 30 % en Amérique Latine, 24 % en Amérique du Nord, 24 % en Europe, 27 % en Asie, 32 % au Moyen-Orient et 13 % en Afrique.
C’est une véritable pandémie.

3 - La maladie du foie gras, est-ce que c’est grave ?

Seule une faible proportion de patients va développer les complications irréversibles morbides :
  • On estime qu’environ 80 % des patients atteints de foie gras ne présentent qu’un stockage bénin, leur foie n’est pas en danger.
  • Les 20 % restants vont développer une inflammation hépatique et, parmi eux, seule une faible proportion va développer en plus une fibrose hépatique avancée à risque d’évoluer jusqu’à la cirrhose ou le cancer du foie.
Au final, on estime que seuls quelques pourcents des patients ont une maladie hépatique avancée. Cette faible proportion peut laisser penser que la maladie n’est pas si fréquente ni grave. Cependant à l’échelle nationale, cela représente plus de 200 000 personnes concernées.
De plus, sur les 10 dernières années, toutes les études montrent que la NASH devient la première cause de cirrhose dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Il s’agit bien de l’apparition d’une nouvelle cause de maladie grave du foie, à la dynamique croissante et alarmante. Cela représente donc un enjeu de santé au niveau mondial.

4 - Comment faire pour identifier les patients à risque et les prendre en charge avant complications ?

Le plus important est d’évaluer le degré de fibrose, principal indicateur de sévérité de la maladie.
L’examen de référence reste la biopsie du foie. Mais il s’agit d’une intervention souvent douloureuse et à risque de complications. Il est donc impossible d’envisager de l’étendre à toute la population en surpoids !

Différents tests non invasifs ont donc été développés :Fibrométrie par test sanguin spécialisé
  • Les tests sanguins simples, par exemple le Fibrosis 4 Calculator. Ce test utilise des paramètres sanguins très simples et est calculé grâce à des applications gratuites. Il peut donc être utilisé par n’importe quel médecin. Ce test permet de dire si le foie est fibreux ou non.
  • Les tests sanguins spécialisés, par exemple le FibroMètre développé en 2005 au CHU d’Angers par le Pr Paul Calès. Ce test utilise des paramètres sanguins plus spécialisés, est plus performant, et permet d’évaluer la fibrose hépatique de façon plus précise que les tests sanguins simples.
  • Les appareils d’élastométrie : à l’aide d’une sonde posée sur la peau, ces appareils mesurent en quelques minutes la dureté du foie qui est directement liée au degré de fibrose hépatique.

Le CEDEMAF, initiative angevine pour améliorer l’accès de tous aux tests non invasifs les plus performants

Il subsiste cependant deux difficultés : d’une part le calcul des tests sanguins spécialisés se fait le plus souvent en ligne et sont payants par les patients car encore non remboursés par la Sécurité Sociale (au contraire de l’hépatite C chronique), et d’autre part les appareils de mesure d’élastométrie ne sont pas encore très répandus. Par exemple, il n’y en a que deux en Maine-et-Loire, au CHU d’Angers et au Centre hospitalier de Cholet.

C’est pourquoi le CHU d’Angers a mis en place en 2007 une plateforme dédiée aux maladies du foie, le CEDEMAF (Centre de Dépistage des Maladies du Foie). Cette plateforme permet à tout médecin d’accéder aux tests non-invasifs les plus performants (tests sanguin spécialisé FibroMètre et appareils d’élastométrie). Elle accueille 2000 patients par an.
 

5 - Et le traitement ?

La NASH, ou maladie du foie gras, étant une maladie de l’obésité, il convient avant tout d’appliquer les changements de mode de vie susceptibles de soulager le foie et lui permettre, s’il n’est pas trop tard, de réduire son excédent de gras stocké :
  • En adoptant de nouvelles règles hygiéno-diététiques : meilleur équilibre alimentaire, activité physique… Une perte de poids de l’ordre de 10 % du poids du corps permet une amélioration de l’état du foie dans 90 % des cas. Mais cela reste souvent difficile à appliquer dans la durée.
  • En ayant recours à la chirurgie bariatrique, si le patient est éligible. Mais cela ne concerne qu’une faible proportion de patients.
Pour la majorité des patients qui n’arrivent pas à perdre du poids, il faudrait un traitement pharmacologique efficace pour éviter la progression de la maladie. Mais à ce jour, il n’existe pas de traitement médicamenteux ayant reçu l’Autorisation de Mise sur le Marché.
De nombreux essais cliniques sont cependant en cours, dont certains sont très avancés, laissant entrevoir une arrivée imminente des premiers traitements.

Que peuvent faire les médecins ?

L’une des priorités est d’identifier les « patients qui s’ignorent » et donc d’organiser un parcours patient dédié, s’appuyant sur les tests adaptés.
Une étude menée en 2019 en Grande-Bretagne chez les médecins généralistes a démontré l’efficacité d’un tel parcours :
  • Un test sanguin simple permet d’écarter les patients sans risque.
  • Pour les autres, un test sanguin spécialisé permet de déterminer plus précisément le degré de sévérité de la maladie.
  • Les patients à haut risque ainsi identifiés peuvent être orientés sans délai vers le spécialiste pour une prise en charge spécifique.
Il est ainsi possible de mieux organiser les demandes de consultations spécialisées, et de mieux identifier les patients qui nécessitent une prise en charge médicale immédiate.

Easy Liver Fibrosis Test, le test qui facilite le travail du médecin généraliste

Les médecins généralistes sont ceux qui voient la plus grande proportion de la population générale. Afin de leur faciliter la tâche dans le dépistage des formes avancées de maladies chroniques du foie, le CHU d’Angers a créé le Easy Liver Fibrosis Test, un test de fibrose très facile à réaliser. Ce test utilise des paramètres sanguins très simples et surtout il peut être calculé de tête sans besoin de calculateur informatique, facilitant ainsi sa réalisation au quotidien et donc l’identification des patients ayant besoin d’être orientés vers un spécialiste.
Ce test a donné lieu à une publication de niveau mondial et une étude pilotée par le CHU d’Angers va évaluer très prochainement son efficacité dans plusieurs départements en France.

Que peuvent faire les patients ?

Prendre conscience que le surpoids et la sédentarité entraînent non seulement un risque accru de diabète ou d’accident cardiovasculaire, mais aussi de maladie grave du foie.
Adapter leur mode de vie autant que possible afin de limiter ces facteurs de risque. Et penser à en parler avec leur médecin.

5 - En conclusion

  • Les maladies du foie sont très fréquentes, la stéatose hépatique non alcoolique en est devenue la première cause.
  • Le diagnostic et la prise en charge sont souvent trop tardifs, au stade des complications.
  • Les tests non-invasifs permettent d’identifier les patients atteints d’une maladie hépatique avancée alors qu’ils sont encore asymptomatiques.
  • Une utilisation plus généralisée de ces tests devrait permettre d’optimiser le parcours patient et d’identifier les patients nécessitant une prise en charge spécifique.
  • Ceci nécessitera une étroite collaboration entre les différentes spécialités, ainsi que le remboursement des tests non-invasifs.

Le service d’Hépato-gastro-entérologie et d’Oncologie digestive du CHU d’Angers

Les activités du service d’Hépato-gastro-entérologie et d’Oncologie digestive du CHU d’Angers sont orientées vers l'hépatologie, la gastro-entérologie, la cancérologie digestive et l'endoscopie digestive diagnostique et thérapeutique.

Le service comprend plusieurs unités de soins dont une unité de soins intensifs pour les hémorragies digestives et un plateau technique disposant d'une unité d'endoscopie digestive, d'un laboratoire d'explorations fonctionnelles (Ph-mètrie et manométrie) et d'une unité d'hémodynamique portale.

Le service intègre également le Centre de dépistage des maladies du foie CEDEMAF, ainsi qu’une unité dédiée à la Recherche Clinique.