Force est de constater que les médicaments ne parviennent pas encore, aujourd’hui, à tout soigner. Certaines maladies complexes comme le cancer nécessitent d’améliorer sans cesse nos médicaments, mais aussi nos techniques de soin et nos stratégies de traitement. La question est d’actualité, car la médecine moderne vit une véritable révolution technologique et plusieurs axes de progrès sont en plein développement.

Quel est le cahier des charges du médicament idéal ?

Paul Ehrlich, pharmacologue de génie et visionnaire, considéré comme le père de la chimiothérapie, avait défini dès 1900 les qualités du médicament idéal : un médicament capable de cibler les tissus ou les cellules défectueuses afin de limiter la toxicité du traitement, capable d’agir dans la durée en restant suffisamment longtemps dans l’organisme, et qui ne provoque pas de résistance.

Les progrès de la médecine sont venus ajouter d’autres caractéristiques. Dans sa vision actuelle, le médicament idéal doit être :

  • Personnalisé et spécifiquement adapté pour chaque malade ;
  • Capable de s’adapter par lui-même à l’évolution de la maladie, en faisant le diagnostic et en libérant des doses adaptées ;
  • Multi-effets, susceptible de traiter plusieurs pathologies simultanément ;
  • Actif immédiatement, en dose unique, et capable de guérir définitivement
  • Enfin, il doit permettre d’éviter les maladies, de la même façon que les vaccins protègent contre les virus.

La vision de la médecine et de la prise en charge du patient a également évolué au fil du temps. Aujourd’hui, elle s’appuie sur le concept des « 4 P » :

  • Prédictive : prend en compte le risque potentiel propre à chaque patient ;
  • Personnalisée et individualisée au maximum ;
  • Préventive : agit dans le but d’éviter de tomber malade ;
  • Participative : le patient est amené à être acteur de son soin.

Ces aspirations guident la plupart des travaux de recherche, et les progrès technologiques récents (miniaturisation, électronique, informatique…) autorisent des avancées majeures et rapides.

Objectif n°1 : améliorer le ciblage

La nano-médecine apporte des solutions très nouvelles en matière de ciblage. Pour utiliser une comparaison parlante, alors que la médecine traditionnelle fonctionne en « arrosage automatique », c’est-à-dire en arrosant toutes les plantes du jardin, la nano-médecine permet de faire du « goutte à goutte » au pied des seules plantes concernées.

Cette médecine moderne utilise des nanoparticules de médicament extrêmement petites (30 fois plus petites qu’une cellule du corps humain). Ces particules sont associées à un support vecteur (lipide, polymère, métal ou virus synthétique) qui va leur permettre de pénétrer dans les cellules afin d’y libérer le médicament.

 

Il existe deux stratégies de ciblage :

  • Le ciblage passif : injectées ou ingérées, les nanoparticules circulent librement dans l’organisme. Lorsqu’elles rencontrent des vaisseaux poreux, comme c’est le cas de ceux qui irriguent les tumeurs, elles peuvent pénétrer et agir là où le traitement est nécessaire ;
  • Le ciblage actif : afin d’augmenter encore cette reconnaissance des tumeurs, les nanoparticules peuvent être « équipées » en surface de différents anticorps leur permettant de reconnaître les cellules à traiter. Cette technique reste pour l’instant expérimentale.

Où en est-on aujourd’hui ?

Une quinzaine de nanoparticules sont actuellement disponibles. Par exemple, les liposomes, inventés dans les années 1970 et mis sur le marché à la fin des années 1990, visent principalement le cancer ou permettent de limiter la toxicité de certains traitements.

Les obstacles restent nombreux :

  • Le ciblage, passif, reste insuffisant (on estime que moins de 5 % des molécules arrivent à atteindre les cellules cancéreuses) ;
  • Le temps de présence dans l’organisme est souvent trop court et ne parvient pas à être prolongé de façon satisfaisante ;
  • La production industrielle de ces molécules très sophistiquées pose problème, et leur coût est très élevé.

Cependant de nombreux travaux de recherche sont en cours, soutenus par une vraie volonté politique européenne de financer des programmes multi-équipes.

Objectif n°2 : personnaliser le traitement

On l’a vu, le médicament idéal devrait être composé spécifiquement en fonction de chaque patient, et même être capable de tenir compte de l’évolution de la maladie pour adapter en conséquence la dose délivrée. Une approche aussi différente du médicament actuel que la haute couture peut l’être du prêt-à-porter.

Cette démarche personnalisée est cependant déjà en train de se mettre en place, et s’appuie sur trois piliers :

  • La pharmacogénétique : cette méthode, très pratiquée aux États-Unis notamment sur les enfants, consiste à déterminer le type génétique et le métabolisme du patient, afin de choisir les médicaments qui lui correspondent le mieux et de personnaliser le dosage ;
  • Les marqueurs de pronostic : il s’agit de déterminer précisément le degré de gravité de la maladie chez le patient, en analysant l’évolution de différents marqueurs biologiques en fonction des dosages effectués. Ces observations permettent d’adapter finement l’intensité du traitement en fonction de chacun ;
  • Les nouvelles techniques de diagnostic, notamment l’imagerie qui a énormément progressé ces dernières années. Il est possible, aujourd’hui, non seulement de repérer efficacement les tumeurs, mais aussi d’obtenir des informations sur la nature des cellules cancéreuses.

Où en est-on aujourd’hui ?

Une certaine personnalisation existe déjà et permet de déterminer ou optimiser le dosage, et de limiter la toxicité des traitements. Mais cela se fait uniquement en choisissant des médicaments parmi ceux existants au niveau industriel. C’est pourquoi, la recherche va dans le sens d’une fabrication sur-mesure par le pharmacien, au pied du lit du patient, afin de se libérer des contraintes industrielles.

Plusieurs obstacles demeurent :

  • La complexité des processus biologiques : la médecine ne dispose que d’une connaissance très incomplète des processus de biologie cellulaire, dont l’extrême complexité se révèle au fil des découvertes.
  • L’évolutivité des processus biologiques : à mesure que l’on trouve des systèmes pour repérer et traiter les cellules cancéreuses, celles-ci utilisent des voies alternatives pour contourner les blocages mis en place et continuer à se développer.
  • L’hétérogénéité des cellules tumorales : au sein d’une même tumeur, on rencontre des cellules différentes. Ce qui complique le choix du traitement, qui doit être assez large pour toucher toutes les cellules dangereuses, mais assez ciblé pour ne pas en détruire d’autres. C’est un vrai défi.
  • Le coût de développement et de production, qui réserve pour l’instant cette médecine personnalisée à des pathologies graves et évolutives comme le cancer.

Objectif n°3 : rendre les médicaments « intelligents »

Les médicaments du futur seront capables de s’adapter dans le corps du patient. Ils sauront réagir à l’environnement biologique pour délivrer les molécules actives où il faut, quand il faut, pendant la durée adéquate et en dose adaptée.

Ces médicaments, très activement développés et pour certains déjà utilisés, semblent parfois issus de la science-fiction.

Citons notamment :
  • Les gélules à durée de libération prolongée, qui s’ouvrent en corolle dans l’estomac afin d’y rester plusieurs jours ou semaines et ainsi diffuser dans la durée.
  • Les gélules intelligentes, programmées pour libérer le médicament au bon endroit en analysant les variations d’acidité dans le corps.
  • Les gélules contenant une micro-caméra, qui filme l’intérieur du corps afin d’éviter par exemple le recours à du matériel plus invasif pour une endoscopie.
  • Les gélules pilotées depuis l’extérieur de l’organisme, que l’on peut suivre par radiographie et déclencher par smartphone.
  • Les médicaments connectés, qui informent le patient (et le médecin) du bon suivi de la posologie, en déclenchant une alerte sur smartphone lors de leur dissolution dans l’estomac.
  • Les robots-gélules, contenant un dispositif de nano-aiguilles qui vont pénétrer dans la cellule ciblée et injecter le médicament.
  • Les nanocapsules intelligentes dotées de mécanismes de reconnaissance des cellules à traiter.
La plupart de ces concepts sont déjà existants. La recherche est particulièrement active dans ce domaine, et de nombreux essais cliniques sont en cours. Les progrès devraient donc être rapides et spectaculaires.

Objectif n°4 : éviter la maladie

Le médicament idéal doit être capable de guérir définitivement le patient dès la première prise, voire de lui éviter de tomber malade. Cette hypothèse, qui ressemble fort à une utopie, devient pourtant peu à peu une réalité grâce aux progrès technologiques et scientifiques.

  • La thérapie génique s’inspire du fonctionnement des virus pour modifier le patrimoine génétique des cellules déficientes de façon définitive. De « faux » virus de synthèse viennent placer dans le noyau de la cellule traitée un ADN modifié, afin de corriger sa production de protéines. Ces médicaments font actuellement l’objet d’essais cliniques.
  • Les dispositifs de surveillance, avec par exemple des patchs connectés qui vont surveiller la tension et le rythme cardiaque du patient. Ou des lentilles de contact capables de mesurer la glycémie. Tous ces dispositifs connaissent un développement très dynamique.
  • L’extraction de cellules déficientes pour être traitées in-vitro, en-dehors du corps du patient, puis réintroduites afin qu’elles aillent détruire les cellules déficientes restantes. Cette méthode est déjà utilisée notamment dans le traitement des leucémies.

En conclusion : pas de miracle mais de réels progrès

Si le « médicament miracle », fantasmé depuis la nuit des temps, n’existe pas et n’existera jamais, on voit par contre se dessiner des médicaments qui répondent de plus en plus à la définition souhaitée par la médecine des 4 P, c’est-à-dire capables de :

  • détecter la maladie ;
  • soigner le patient de façon personnalisée et ciblée ;
  • avec un minimum de toxicité ;
  • de façon définitive, en modifiant l’organisme pour le réparer.

Le médicament du futur reste encore à mettre au point et à produire, mais les progrès actuels sont enthousiasmants.

La pharmacie du CHU d'Angers

La pharmacie à usage intérieur (PUI) du CHU d’Angers comprend plus de 50 personnes (pharmaciens, préparateurs en pharmacie, étudiants, internes en pharmacie, techniciens et personnels de gestion ou de logistique). Elle est divisée en trois secteurs : Achat/approvisionnement/dispensation globale ; Pharmacie clinique/éducation thérapeutique/dispensation nominative ; Production/contrôle/essais cliniques.
L’activité de radiopharmacie située au sein du service de médecine nucléaire dépend de la PUI.

La recherche universitaire, très dynamique, est principalement adossée à l’unité de recherche MINT (micro et nanomédecines translationnelles) dirigée par le professeur Patrick Saulnier, PUPH en poste à la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation du CHU. Cette équipe est labellisée par l’Inserm et le CNRS. L’activité sur la PUI consiste à développer de nouvelles formulations de médicaments en particulier pour l’oncologie. Les 3 PUPH Jean-Pierre Benoit, Patrick Saulnier et Frédéric Lagarce sont parmi les 50 premiers publiants du CHU. A côté de cette recherche en pharmacotechnie, la PUI développe une recherche en pharmacie clinique afin d’améliorer la prise en charge et le suivi médicamenteux des patients du CHU. Ces activités sont naissantes et se développent principalement aujourd’hui avec les services de gériatrie, d’hématologie, de pédiatrie et de médecine interne.