Cette année, en raison de la météo maussade, la saison des champignons a démarré tôt, pour le plus grand plaisir des amateurs… à condition de ne pas se tromper ! Chaque année les professionnels de santé sont confrontés à de nombreux cas d’exposition à des champignons et plantes potentiellement toxiques.
Loin de s’amenuiser, ce phénomène s’est amplifié ces dernières années avec les nouvelles tendances de retour à la nature, de consommation de plantes et légumes naturels ou sauvages. En France, les centres antipoison reçoivent chaque année plus de 8 000 appels suite à l’ingestion de plantes ou de baies. Pourtant, il suffit d’observer quelques règles de prudence pour se faire plaisir sans prendre de risque.

Conférence des Dr Gaël Le Roux et Chloé Bruneau

Conférence du 19 septembre 2017, animée par les Drs Gaël Le Roux et Chloé Bruneau, du Centre antipoison et toxico-vigilance Grand Ouest du CHU d’Angers. Rendez-vous organisé dans le cadre des Mardis de la santé du CHU d'Angers, en partenariat avec la Ville d'Angers et le Courrier de l'Ouest.

Une problématique de santé publique

Chaque année en France, on recense entre 1 000 et 2 000 cas d’exposition aux champignons toxiques. Malgré les progrès médicaux et les campagnes de prévention et d’information, ces intoxications entraînent encore chaque année plusieurs décès et plusieurs cas de séquelles graves nécessitant une transplantation hépatique ou une mise sous dialyse.
Plus fréquente car moins sujette à la saisonnalité, l’exposition aux plantes présente généralement une dangerosité moindre, avec environ 1 cas symptomatique sur 5. Sur les 6000 espèces de plantes, seulement 165 sont réputées toxiques et l’ingestion d’une quinzaine d’entre elles entraîne des symptômes graves. Cependant elle est très anxiogène car elle concerne souvent les enfants, facilement tentés par les baies colorées.
Dans plus de 90% des cas d’intoxication par champignon, la symptomatologie est caractérisée par des diarrhées et vomissements. En règle générale, plus les symptômes se déclarent rapidement après l’ingestion des champignons, moins le pronostic du patient est défavorable. La différence se fait entre les syndromes à latence courte (moins de 6 heures) et ceux à latence longue (> 6 heures), potentiellement plus graves. Cette règle est à relativiser en fonction des fragilités individuelles, mais constitue un bon repère.

Plantes : des précautions à prendre dès la cueillette

Certaines espèces sont toxiques par simple contact cutané. On pense d’abord aux plantes à épines comme les rosiers, ou à poils urticants comme les orties. Mais il existe d’autres cas de figure.
  • Les plantes de la famille des euphorbes (Euphorbiacées) contiennent un latex très irritant. Ces plantes sont fréquentes dans la nature, mais aussi dans les jardins (euphorbes ornementales) et même dans les appartements (poinsettias, crotons…).
  • Certaines plantes de la famille des arums (Aracées) renferment des cristaux d’oxalates, prenant la forme de petites aiguilles, qui peuvent irriter la peau et les muqueuses, voire entraîner des gonflements de la langue et de la gorge. Parfois, ces oxalates sont solubles, comme dans les oseilles ou la rhubarbe. C’est alors l’ingestion de trop grandes quantités de ces plantes qui conduit à des troubles digestifs et surtout rénaux graves.
  • Enfin, le suc de certaines plantes de la famille des Apiacées, comme le Panais, la Berce spondyle ou la Berce du Caucase, associée à une forte exposition au soleil, est responsable d’un phénomène appelé phytophotodermatose. Cette affection se traduit par des brûlures du premier ou du second degré sur toutes les parties exposées.
  • Les Apiacées, une famille peu fréquentable : les Apiacées sont aussi responsables de cas d’intoxication par voie orale. Si cette famille est très facilement reconnaissable (inflorescences en ombelles, feuilles découpées, tiges fistuleuses), ses représentants sont très difficiles à distinguer les uns des autres. Certains sont comestibles et cultivés (panais, céleri, persil, aneth, etc.) alors que d’autres sont toxiques voire mortels (ciguë, œnanthe safranée).

Les noms des plantes

Une plante peut avoir trois noms différents. Un nom scientifique constitué du genre et de l’espèce, en latin (p. ex. Laurus nobilis), un nom commun, souvent traduiut du nom latin (Laurier noble) et plusieurs noms « vulgaires », locaux (laurier-sauce, laurier d’Apollon). L’exemple des lauriers illustre bien cette problématique de noms multiples puisque 9 espèces différentes prennent le nom de laurier, et certaines d’entre elles comme le Laurier rose (Nerium oleander) ou le Laurier cerise (Prunus laurocerasus) sont toxiques.
Légende photo : Hypericum androsaemum ou Millepertuis androgène 

Une question de saisons

Les plantes ne se récoltent pas toutes au même stade de développement : feuilles, fleurs, racines. Or il peut être difficile en l’absence de certains organes comme les fleurs, de distinguer les espèces les unes des autres. Ainsi, aucune difficulté à reconnaître une digitale pourpre en fleurs. Mais qu’en est-il lorsqu’on ne dispose que d’une rosette de feuilles ?
La saison à laquelle sont cueillies les plantes est également importante. Le crocus et la colchique (espèce mortelle) se ressemblent beaucoup, mais ne fleurissent pas du tout à la même saison.
Légende photo : Colchique automnale ou Colchique d’automne

La botanique, c’est un métier

La botanique est une discipline qui demande de grandes qualités d’observation et la maîtrise d’un vocabulaire spécifique et complexe. Seuls d’infimes détails permettent parfois de distinguer les espèces : couleur des anthères (qui portent le pollen), orientation des fleurs, présence de bractées particulières…
Il est donc important de ne pas s’aventurer seul à récolter des plantes que l’on connaît mal, de vérifier dans les Flores l’espèce que l’on récolte et éventuellement, ne pas hésiter à se faire aider de spécialistes (jardins botaniques, botanistes, muséum, associations).

Quand les sauvages s’invitent au potager

« Les plantes sauvages ce n’est pas pour moi, je ne récolte que ce que je fais pousser ! ». Le centre antipoison traite parfois des cas d’intoxication par des plantes cueillies au potager. Morelles et datura poussent parfois parmi les autres Solanacées du potager (tomates, aubergines, poivrons…). Certaines courges que l’on croyait comestibles se révèlent amères et toxiques…
Légende photo : solanum nigrum ou Morelle noire

Conseils pour une cueillette des plantes sans danger

Les intoxications par les plantes sont heureusement plus fréquentes que graves. Pour éviter les problèmes :
  • Attention lors de la cueillette aux plantes irritantes, piquantes, coupantes
  • Évitez de manipuler les plantes à latex blanc
  • Cueillez avec précautions les Apiacées et vérifiez toujours ou faites vérifier votre cueillette
  • Utilisez une Flore, consultez les spécialistes

Champignons : deux cas emblématiques

1 - Le syndrome phalloïdien : c’est l’intoxication grave la plus fréquente. Responsable d’atteintes hépatiques sévères, elle entraîne chaque année plusieurs dizaines de cas d’hospitalisation en réanimation et plusieurs décès. 
  • Les champignons en cause : pas seulement, comme on le croit généralement, l’amanite phalloïde, mais également 8 autres espèces d’amanites, 24 petites lépiotes et 9 espèces de galerina. Il existe donc de très nombreux champignons qui contiennent cette toxine, dont certains peuvent ressembler à des espèces comestibles.
  • Les symptômes : les effets de l’amatoxine sont différés d’au moins 6 heures après l’ingestion. Ils se caractérisent par une phase gastro-intestinale avec  vomissements et diarrhées profuses. La déshydratation peut s’avérer fatale en cas de facteur de risque (enfant, personne âgée, antécédents cardio-vasculaires). Une phase silencieuse peut s’observer où les troubles digestifs diminuent ; la personne pense aller mieux mais en réalité les toxines s’attaquent au foie et entraînent une atteinte hépatique potentiellement grave.
Une prise en charge médicale rapide permet cependant de limiter les effets de la toxine.
Légende photo : Amanite musarda ou Amanite tue_mouches

2 - Le syndrome orellanien : très rare, cette intoxication est également grave car elle entraîne dans 50% des cas la nécessité d’une dialyse à vie et d’une transplantation rénale.
  • Les champignons en cause : uniquement les cortinaires, notamment le cortinarius orellanus et le cortinarius speciosissimus, respectivement appelés cortinaire couleur de rocou et cortinaire très joli dans le langage courant.
  • Les symptômes : n’apparaissent qu’entre 12 heures et plusieurs jours après l’ingestion, ce qui complique souvent le diagnostic. Les troubles digestifs, en général bénins, peuvent même passer inaperçus. Mais le patient ressent une déshydratation intense (sensation de bouche sèche, soif intense), accompagnée de troubles urinaires (anurie ou dysurie). L’évolution est lente mais peut entrainer une insuffisance rénale irréversible.

Méfiez-vous des idées reçues !

Royaume de la tradition orale et du secret d’initiés, l’activité de cueillette colporte également un bon nombre d’idées reçues plus ou moins fausses. En voici quelques exemples :
  • un champignon qui bleuit lorsqu’on le coupe est forcément toxique : faux
  • un champignon qui a une odeur agréable est forcément comestible : faux
  • un champignon qui a bon goût est comestible : faux
  • les champignons avec anneaux ou avec volve sont forcément toxiques : faux
  • il faut toujours couper au couteau le pied du champignon pour qu’il repousse l’année suivante : faux, cela ne sert à rien. Au contraire, il faut cueillir le champignon entier pour avoir tous les critères d’identification.

Conseils pour une cueillette sans danger

Deux règles d’or à appliquer impérativement :
  • Ne cueillez que les produits que vous connaissez vraiment parfaitement, et dans un environnement familier. Un changement de bois ou de région, peut par exemple modifier l’aspect des champignons.
  • Restez humble et prudent : faites systématiquement analyser les produits par un pharmacien ou un mycologue si vous avez le moindre doute ou si vous n’êtes pas sûr de vous. Il existe de nombreuses sociétés de mycologies dans chaque région, qui délivrent des conseils et organisent des sorties pour les amateurs.
Et quelques habitudes à prendre pour limiter les risques :
  • Ne cueillez pas un spécimen seul mais de préférence plusieurs individus afin de les comparer et vous assurer de leur identité.
  • Ne cueillez pas après de fortes pluies ou fortes gelées, qui peuvent modifier l’aspect des champignons en les décolorant ou en faisant tomber le voile présent sur le chapeau.
  • Prenez deux paniers, ou un panier avec cloison, de façon à pouvoir séparer les champignons que vous connaissez et ceux sur lesquels vous avez un doute.
  • Transportez toujours vos champignons dans des paniers ouverts, jamais dans des sacs plastiques fermés qui accélèrent la prolifération bactérienne. Les champignons sont des biotopes très fragiles, il faut les laisser respirer.
  • Effectuez un second tri en arrivant chez vous, sous un éclairage de qualité. Ça vous permettra souvent d’écarter un champignon mauvais parmi les bons.
  • Prenez en photo votre cueillette, sur le terrain ou – encore mieux – sur la table de votre cuisine. Cela permettra d’identifier facilement ce qui a été ingéré en cas de troubles digestifs.
  • Conservez vos champignons tels quels ou entourés de papier, dans le bac à légumes du réfrigérateur ; jamais dans des sachets en plastique !
  • Consommez rapidement votre cueillette, au maximum dans les deux jours.
  • Tous les champignons doivent être cuits, au moins 15-20 minutes afin de détruire la plupart des toxines et les rendre bien digestes.
  • Espacez les repas de champignons de cueillette, cela doit rester un mets d’exception : pas plus d’une fois tous les 15 jours.

Que faire en cas d’exposition ?

En cas d’apparition de symptômes après ingestion de champignons : troubles digestifs, troubles neurologiques (confusions, hallucinations, troubles de l’équilibre, troubles de la mémoire…), même plusieurs jours après le repas, contactez directement le Centre antipoison du CHU d’Angers au 02 41 48 21 21 ou composez le 15.

Le Centre antipoison et de toxico-vigilance du CHU d’Angers

Le Centre antipoison et de toxico-vigilance du CHU d’Angers est l’un des 9 centres antipoison de France et couvre tout le grand ouest (Centre, Pays de la Loire, Bretagne, Normandie). Il regroupe une équipe mixte de pharmaciens et médecins, spécialistes de divers domaines pour pouvoir répondre à tous les cas de figure (champignons, plomb, monoxyde de carbone, venins animaux, etc.).
Il a pour mission la réponse téléphonique urgente et la toxicovigilance sur son territoire. Il assure une consultation médicale spécialisée 24h/24 concernant toutes les intoxications aigues ou chroniques. Il recense, suit les dossiers de toxicovigilance et déclenche les alertes pour les risques toxiques nouveaux. Enfin il est Centre référent national pour les intoxications par champignon et assure une mission de veille sanitaire nationale sur les champignons, en partenariat avec l’ANSES.
Pour contacter le centre antipoison et de toxico-vigilance : 02 41 48 21 21.