En France, aujourd’hui, 3 millions de personnes souffrent de dépression. Cette maladie peut concerner chacun de nous puisqu’au cours de la vie, 15 à 18 % de la population est touchée par un épisode dépressif. Il s’agit donc d’un véritable problème de santé publique.
Pourtant, la dépression reste une maladie méconnue, souvent mal considérée et sur laquelle circulent de nombreuses idées fausses.
Comment reconnaître l’état dépressif, pour soi-même ou chez des proches ? Vers qui se tourner ? Et quelles sont les solutions de prise en charge et de traitement, avec ou sans médicaments ?
 

Conférence du Pr Bénédicte Gohier

Conférence animée par le Pr Bénédicte Gohier, chef du service de Psychiatrie et addictologie du CHU d’Angers.

Une maladie fréquente mais mal considérée

Bien qu’elle touche 3 millions de personnes en France, la dépression n’est pas forcément prise au sérieux, ni considérée comme une véritable maladie. On se persuade facilement que c’est juste un moment de fatigue, un « coup de mou » qui s’explique par diverses choses, les enfants, des soucis financiers, des inquiétudes qui s’accumulent… et qui devrait passer tout seul.
Ce regard est aggravé par le jugement négatif souvent entretenu par l’entourage, qui ne comprend pas ce qui se passe. L’incapacité à « se secouer » est vécue comme un manque de courage et entraine une culpabilité, un sentiment de honte qui font partie des signes cliniques de la maladie.

Comment reconnaître la dépression ?

L’épisode dépressif se caractérise principalement par une rupture avec l’état antérieur, une incapacité soudaine à réagir et s’ajuster de façon normale à notre vie quotidienne. Moins brutale que le burnout, elle se traduit plutôt comme un manque d’énergie, de motivation, une fatigue constante et insurmontable.
 

La dépression impacte tous les aspects de la personne :

  • Les émotions : la dépression est une maladie des émotions. C’est comme si tout à coup un filtre gris se posait sur la vie. Cela entraîne fréquemment une tristesse latente, mais aussi de l’irritabilité, de l’impatience, un manque d’envie, un désintérêt. Plus rien ne motive la personne dépressive. Elle ne participe plus aux activités collectives, n’a plus d’enthousiasme, s’isole peu à peu.
  • Sur les plans physique et psychique, tout semble lourd, pénible, compliqué à mettre en œuvre. On se sent incapable, sans énergie. Cela se traduit également par un ralentissement intellectuel, des difficultés d’attention et de concentration, des pertes de la mémoire immédiate, des problèmes de sommeil qui aggravent la fatigue accumulée. Cela peut aller jusqu’à ne plus vouloir sortir de chez soi, se lever, se nourrir, se laver…
  • En termes de comportement, l’irritabilité et le manque de motivation entraînent une tendance à l’isolement et un sentiment de dévalorisation, d’inutilité. La personne dépressive devient méconnaissable, elle-même ne se reconnaît plus et ne se supporte plus. Ce qui peut conduire au suicide.


Dans tous les cas, le signe majeur de dépression est un changement notable dans le caractère et le comportement de la personne.

Nous ne sommes pas tous égaux devant la dépression…

  • Les personnes anxieuses, pessimistes, sont par nature plus facilement sujettes aux risques de dépression du fait de leur difficulté à gérer l’inquiétude.
  • D’autres facteurs viennent augmenter le risque dépressif : une vie quotidienne compliquée, des difficultés financières récurrentes, un entourage peu soutenant, un manque de relations affectives et amicales, un changement de vie important. Également les addictions qui peuvent fragiliser, comme l’alcool ou l’hyper médication. 
  • Enfin, les femmes sont davantage touchées : elles représentent les deux tiers des malades dans le monde. L’une des explications avancées par la communauté scientifique serait la différence d’appréciation émotionnelle entre hommes et femmes.

Comment s’installe la dépression ?

La dépression s’explique par un dysfonctionnement du cerveau, à la fois sur les centres émotionnels et sur les centres de contrôle et de régulation des émotions. Par exemple, à la suite d’un choc ou d’un changement de vie important, les centres émotionnels se mettent à « tourner » tout seuls, sans contrôle. Ou bien par épuisement, à un moment donné, l’organisme est dépassé et les neuromédiateurs ne sont plus produits suffisamment pour assurer l’ajustement. Dans ce cas, les antidépresseurs peuvent venir suppléer ces neuromédiateurs, le temps que la personne puisse reconstruire ses ressources.

Cette vidéo de l’OMS illustre très clairement le mécanisme de la dépression.

En quoi consiste la prise en charge du patient dépressif ?

La dépression est une maladie purement fonctionnelle, sans atteinte d’organe. Cela signifie que l’on peut se remettre totalement d’un épisode dépressif. Certaines personnes en ressortent même plus fortes, ayant compris et réglé un certain nombre de conflits intérieurs. Tout l’enjeu est donc que les patients concernés parviennent jusqu’à la consultation.

La première étape est l’acceptation de son état anormal, et du fait qu’il s’agit d’une maladie. À ce stade, une implication positive et déculpabilisante de l’entourage peut s’avérer décisif.

La deuxième étape est pédagogique : la compréhension des mécanismes de la dépression est indispensable pour une bonne prise en charge de la maladie. Car le patient est dans une incompréhension totale de ce qui se passe : « qu’est-ce qui m’arrive, je ne me reconnais pas ».

Vient alors le traitement, qui peut prendre différentes formes.

  • Les médicaments antidépresseurs : il existe des indications médicales très claires pour déterminer à partir de quel stade de la dépression le recours aux médicaments est nécessaire. Les antidépresseurs ont beaucoup progressé et sont aujourd’hui bien tolérés. Les effets secondaires, minimes (maux de tête, nausées…), ne se manifestent que sur les premières semaines. Pour être efficaces, ces traitements doivent respecter une posologie précise et une durée longue, en règle générale au moins 8 mois. Bien souvent, la tentation est grande d’arrêter le traitement lorsque l’on commence à se sentir mieux, mais c’est une grave erreur car cela peut faciliter la rechute. Le médecin et le pharmacien ont un rôle important à tenir, et un accompagnement par un psychiatre est conseillé.
  • L’accompagnement psychothérapeutique, qui prend différentes formes en fonction de l’état du patient, de ses capacités à progresser, de ses habitudes, etc.
  • L’aide et le conseil pour restaurer l’hygiène de vie : un bon sommeil, une alimentation équilibrée, une activité physique minimum, une curiosité sociale, culturelle, etc. Le patient doit apprendre à se rouvrir aux plaisirs de la vie et au partage avec les autres, car la dépression entraine un mouvement de repli sur soi. Les équipes soignantes vont mettre en place des parcours personnalisés pour aider chacun à retrouver des sensations, se sentir mieux, se revaloriser.
  • Au CHU d’Angers, d’autres outils et différentes activités permettant un ressourcement émotionnel peuvent être utilisés pour aider les patients : luminothérapie, stimulation par l’image ou le son, relaxation, ateliers de jardinage, etc.
  • Le plus souvent, les patients souffrant de dépression sont pris en charge en ambulatoire mais il est parfois nécessaire de recourir à une hospitalisation, notamment en cas de crise suicidaire et/ou lorsque l’intensité dépressive est importante, nécessitant des soins ajustés. Le traitement par antidépresseur est alors adapté et on peut avoir recours à d’autres thérapeutiques comme la neurostimulation par rTMS (stimulation magnétique trans-crânienne), les sismothérapies ou de nouveaux traitements comme la ketamine.

Comment agir et vers qui se tourner ?

Il faut d’abord arrêter d’avoir honte de la dépression. Il est grand temps de comprendre qu’il s’agit d’une maladie, totalement involontaire, et non d’une défaillance morale ou d’une faiblesse de caractère !

Si l’on en ressent le besoin pour soi-même, il ne faut donc pas hésiter à aller consulter sans attendre son médecin généraliste ou directement un psychologue ou un psychiatre.

Si l’on reconnaît chez une personne proche des signes de dépression, il faut aller vers elle avec bienveillance et l’interroger sur ses émotions, sur ses inquiétudes, qui sont souvent un déclencheur de l’état dépressif. Il faut essayer de l’amener à oser en parler, en lui montrant que l’on a perçu son changement d’état. Cela fonctionne toujours mieux que de vouloir l’emmener de force chez le médecin. Le dialogue est la clé, il faut oser en prendre le risque : bien souvent, la personne en dépression n’attend que cela !

Le service de Psychiatrie et d’Addictologie du CHU d’Angers

Le service de Psychiatrie et d’Addictologie du CHU d’Angers propose différentes prises en charge pour les patients majeurs souffrant de troubles psychiques et/ou addictifs (alcools, opiacés, psychostimulants, cannabis, trouble du comportement alimentaire) : des soins non programmés avec évaluation dans les différents services du CHU dont les urgences adultes et la réanimation, et des soins programmés avec consultations d’évaluation rapide à la demande des médecins généralistes.
Le service de Psychiatrie et d’Addictologie est particulièrement spécialisé dans l’évaluation des troubles de l’humeur et des conduites suicidaires, proposant des soins spécialisés. De nombreux travaux de recherche sont en cours pour mieux comprendre la dépression et mieux la traiter.